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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/561

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n’y aura-t-il pas autant de différence entre son successeur et lui qu’il y en a eu entre lui et M. de Freycinet? » Raisonnement irréfutable, que l’événement n’a que trop justifié. A l’heure même où les négociations avec l’Angleterre entraient dans la période aiguë, où il aurait fallu toute notre union pour faire reculer notre ancien allié, une crise ministérielle a éclaté à Paris sur un manifeste ridicule. Pendant un mois, la chambre a oublié l’Égypte, la Méditerranée la politique coloniale, l’avenir de notre commerce pour de jouer les calculs du prince Napoléon et calmer les angoisses républicaines de M. Floquet : pendant ce mois, l’Angleterre a pris l’Égypte et ne nous la rendra plus.

Je répète qu’il faut avoir vu de près, qu’il faut avoir senti directement l’impression que de pareilles défaillances produisent au dehors, qu’il faut en avoir rougi en face de l’étranger pour savoir, pour comprendre le mal qu’elles ont fait à notre pays. On ne croit plus à la France en Europe et en Orient. On n’y croit plus, d’abord parce qu’elle s’est proclamée incapable de combattre Arabi et qu’une faiblesse aussi extraordinaire a effrayé ses plus chauds partisans. On n’y croit plus ensuite, parce que les variations, les incertitudes, les soubresauts de sa politique persuadent à tout le monde qu’elle est incapable de réflexion et de suite dans la conduite. S’imaginer que les coups qu’elle vient de porter ou qu’elle va porter à Madagascar et au Tonkin suffisent ou suffiront à restaurer son prestige, serait une grande erreur; ils ajoutent au contraire à sa renommée de puissance légère, inconsidérée, livrée à tous les caprices. Est-il possible de s’expliquer que la même chambre, que les mêmes hommes aient refusé d’aller en Égypte et se lancent à corps perdu à Madagascar et au Tonkin? Quelle preuve plus éclatante de versatilité? Quelle démonstration plus claire de l’impossibilité où est notre pays de mesurer la portée de ses entreprises à l’importance de ses intérêts? Et puis, on doute de notre constance à soutenir les résolutions subites que nous venons de prendre. On se méfie même de notre courage militaire. La plus grande honte que j’ai éprouvée de ma vie, c’est de voir des Égyptiens sortis de notre École de Saint-Cyr ou de notre École polytechnique me demander sérieusement, sincèrement, sans intention d’ironie, avec un réel chagrin, au contraire, au souvenir du passé : « Est-il bien vrai que la France ait eu peur d’Arabi? que son armée ne soit plus capable de combattre même des fellahs? » Et ce langage n’est pas le seul dont j’aie eu à souffrir, dont souffrent tous les Français qui vivent au dehors. Presque chaque jour, ils entendent répéter : « Il n’y a plus de France! On ne doit plus compter sur cette nation, jadis la première de toutes. » Quelques étrangers, animés de bons sentimens, vous font encore plus de mal par la compassion qu’ils se croient obligés de vous montrer :