Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Entre les nobles excès de Stuart Mill et les basses inepties de Schopenhauer, il y a heureusement place pour une vérité moyenne qui relève l’honneur et la dignité des femmes sans identifier leur rôle à celui des hommes : car il y aura toujours une différence que nulle éducation ne peut effacer et qui suffit à diversifier les rôles. On a assez à faire pour élever l’éducation des femmes jusqu’au niveau qu’elle comporte sans être obligé de soutenir l’identité absolue des destinations entre les deux sexes. Cette vérité moyenne, M. Gréard l’exprime avec un tact supérieur et une délicatesse de touche pleine de charmes : « Nous ne sommes plus au temps, dit-il, où l’on se demandait si la femme a une âme, ou si l’âme de la femme ne diffère pas de celle de l’homme. Ce qui est incontestable c’est que ni leur destination n’est la même, ni leur nature. Or, le but de l’éducation, c’est le perfectionnement dans l’ordre de la nature. Fortifions donc la raison qui est le bien commun, mais sans porter atteinte aux dons qui lui sont propres. Toutes ses faiblesses ne sont pas des défauts, de même que toutes nos énergies ne sont pas des vertus. La femme l’emporte par ses qualités natives. Son instinct la guide parfois aussi heureusement que la plus rigoureuse logique ; au bon sens le plus solide elle sait allier les grâces légères. Elle a la finesse, l’élan, le charme : ce sont là des richesses incomparables dont il n’est besoin que de diriger et de perfectionner l’emploi. Dans une page pleine d’humour, M. Herbert Spencer figure l’éducation du passé, qu’il appelle « décorative » sous les traits d’une poupée revêtue d’oripeaux et se mouvant par ressorts. Nous aimons à nous imaginer celle qu’il s’agit de créer sous la figure de ces statues antiques que Fénelon représente dans toute la sève de la vie, le port élégant et ferme, la démarche modeste et aisée, le front éclairé par la pensée, le sourire aux lèvres. »


II

A la suite des savans et judicieux écrivains dont nous venons d’analyser les intéressantes études, que l’on nous permette à notre tour d’aborder la question telle qu’elle se présente aujourd’hui, telle qu’elle a été posée par la loi récente qui a décidé l’établissement des lycées de jeunes filles. Cette question se divise elle-même en trois ; une question de principe : Faut-il instruire les femmes ? — une question d’application : L’état doit-il se charger de cette instruction ? — une question d’exécution : Le plan d’études et les programmes récemment votés par le conseil supérieur de l’instruction publique répondent-ils à l’idée qu’on doit se faire aujourd’hui