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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/67

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de l’éducation des femmes ? Examinons d’abord la question de principe.

Quelques personnes amies de l’instruction et de la distinction d’esprit chez les femmes sont cependant assez peu favorables à la grande innovation à laquelle nous assistons. Elles sont surtout préoccupées des excès ou des abus que cette innovation peut produire. Elles voient déjà des femmes savantes, des pédantes, des disputeuses, des libres penseuses, et, devant ces fâcheuses conséquences, elles aimeraient mieux peut-être qu’on eût laissé la question dormir et les choses aller comme auparavant. Bien de plus respectable que ces appréhensions, et elles sont même très utiles comme avertissemens pour ceux qui auront la responsabilité de cet enseignement nouveau. Mais nous pensons pour notre part qu’il y a lieu de passer outre, et que, tout en s’inspirant de ce qu’il peut y avoir de raisonnable dans ces critiques anticipées de ce qui n’existe pas encore, il faut faire ce qui est bon en soi sans se laisser arrêter par l’idée des excès possibles. Il n’y a pas un seul progrès dans le monde qui eût pu avoir lieu si l’on n’avait pensé qu’aux excès. S’il est une vérité démontrée par l’histoire, c’est que tout progrès se paie ; c’est qu’aucun bien ne se produit sans être accompagné d’un peu de mal ; chacun de nous le sait bien et en souffre pour les choses qui lui tiennent à cœur. Que nos pessimistes trouvent là un argument contre la vie humaine, contre la société, contre la Providence, c’est leur affaire ; mais ceux qui ne sont pas pessimistes ne doivent pas employer contre les choses qui leur déplaisent un argument qu’ils trouvent absurde contre les choses qui leur plaisent.

On craint deux choses dans l’instruction des femmes. On craint, d’une part que les hauteurs de la science ne les dégoûtent de leurs devoirs domestiques et de l’humble rôle de maîtresse de maison. On craint aussi que la sécheresse et la pédanterie de la science ne leur ôtent la grâce, l’agrément, la délicatesse qui font le charme de leur sexe. Il faut convenir que ces deux sortes de crainte sont d’un ordre un peu différent et ne vont pas nécessairement ensemble. Ce n’est pas précisément à titre de ménagère que la femme déploie ses grâces et ses agrémens ; c’est à titre de femme du monde ; et la femme du monde à son tour n’est pas toujours une bonne ménagère ; l’agrément n’est pas toujours un à l’utilité, ni l’utilité à l’agrément. On oublie que le ménage et la famille ont des ennemis bien plus dangereux que la science et l’instruction : ce sont les sens, l’imagination, et l’ennui. La frivolité suffit pour éloigner les femmes du foyer domestique, et l’ignorance se concilie très bien avec l’oubli des devoirs sérieux. Nos petites marquises, nos petites comtesses,