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de rapprochement entre certains états, de classement dans les relations. Grands et petits s’agitent beaucoup à la recherche des alliances et des garanties, c’est évident ; mais l’imagination, elle aussi, se met souvent de la partie et arrange des drames de fantaisie avec les affaires de l’Europe, même quelquefois avec les faits les plus simples. M. Gladstone a profité de ses vacances pour se promener comme tout le monde, pour aller avec sa famille, en compagnie du poète Tennyson, jusqu’à Copenhague, et il a même reçu à bord de son navire, le Pembroke-Castle, la visite de la famille royale de Danemark, de l’empereur Alexandre III de Russie, qui se trouvait à Copenhague. Que peut bien s’être proposé le premier ministre de la reine Victoria dans son excursion inattendue à Copenhague ? Est-ce qu’il ne serait pas allé, par hasard, nouer à bord de son yacht l’alliance de l’Angleterre et de la Russie, avec l’appoint du Danemark, de la Suède et de quelques petits états, pour l’opposer à l’autre grande alliance du centre du continent ? Voilà l’Europe partagée en deux camps ! Les imaginations impétueuses ont déjà calculé les forces qui allaient se trouver en présence. C’est aller un peu vite, on en conviendra, M. Gladstone a bien pu utiliser son voyage et s’entretenir avec l’empereur de Russie des affaires du monde ; ce n’est point impossible. Il n’est pas sûrement allé nouer des alliances ; le Pembroke a pu aller à Copenhague et en revenir sans être chargé de si redoutât les secrets. Qu’en est-il, d’un autre côté, de tout ce mouvement de princes et de diplomates en Allemagne ? Il est certain que, cette année, les entrevues, les spectacles de gala n’ont pas manqué au-delà du Rhin, que l’Allemagne, pendant quelques semaines, a paru être plus que jamais le centre de la vie européenne. Le vieil empereur Guillaume a pu avoir un cortège de rois aux manœuvres de Hombourg ; M. de Bismarck a eu ses visiteurs à Gastein. Les fêtes militaires et les négociations diplomatiques ont marché de front. Que quelques-uns de ces princes voyageurs, comme le roi de Roumanie, le roi de Serbie, aient eu la pensée d’aller là où ils croient voir la force, de se rattacher à la grande alliance centrale, ce n’est pas douteux, et M. de Bismarck n’est pas homme à négliger ce qui peut servir ses desseins, ce qui est après tout l’attestation visible de la prépondérance allemande ; mais dans tout cela, si habile que soit un homme à dominer les événemens, il y a plus d’apparence que de réalité.

Au fond, le seul fait saisissable, bien réel, et il a déjà une assez sérieuse importance, c’est l’alliance, renouvelée, fortifiée, de l’Allemagne et de l’Autriche, instrument puissant créé au centre de l’Europe par le chancelier de Berlin pour faire face au danger éventuel, de quelque côté qu’il vienne, du nord ou de l’ouest, de la Russie ou de la France. C’est le point fondamental. Tout le reste n’est qu’un élément variable