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buait la convention préparée par M. Bourée. Assurément on ne peut faire un crime au ministère de mettre tout son zèle à chercher une solution de nos différends avec la Chine, de se montrer conciliant. S’il peut tout terminer pacifiquement, ce sera, certes, pour le mieux ; mais alors pourquoi traiter avec de tels dédains, il y a quelques mois, la convention de M. Bourée ? Si, au lieu de s’emporter, on avait tout simplement accepté le traité de M. Bourée pour ce qu’il était, comme un projet qui pouvait être modifié, qui contenait déjà les conditions essentielles d’un arrangement pacifique de ces inextricables affaires du Tonkin, on aurait épargné au pays quatre mois d’incertitudes, on aurait évité de dépenser inutilement des sommes à coup sûr fort supérieures aux crédits qui ont été demandés, et d’envoyer nos soldats périr au loin dans des rencontres obscures. On aurait surtout évité d’avoir toujours l’air de ne pas savoir ce que l’on veut, de se donner cette mauvaise apparence d’une diplomatie aussi inconsistante et aussi décousue que notre action militaire.

La question est maintenant de savoir comment cette politique sera accueillie et jugée par les chambres, qui vont se réunir dans quelques semaines. Certes, cette majorité républicaine qui règne dans les deux assemblées n’est pas difficile, et, à vrai dire, elle a sa part de responsabilité dans toutes ces entreprises qui se succèdent, dont le pays est condamné à payer les frais. Elle a laissé passer il y a deux ans cette affaire de Tunis où l’on avait trouvé le moyen d’accumuler tous les subterfuges, toutes les irrégularités. Elle a laissé, l’an dernier, consommer la ruine de l’influence française en Égypte, et non-seulement elle n’a rien dit, elle a poussé elle-même à l’abandon de toutes nos traditions. Lorsqu’il y a quelques mois, des sénateurs et des députés indépendaus réclamaient quelques éclaircissemens au sujet de ces affaires du Tonkin qui entraient dans une phase obscure et périlleuse, la majorité s’est hâtée de voter les crédits qu’on lui demandait, elle n’a exigé aucune garantie. On a laissé au ministère une liberté complète. Qu’en a-t-il fait depuis quatre mois ? C’est là, aujourd’hui, la question, et s’il y a une majorité complaisante, prête à tout approuver, à tout ratifier, il doit y avoir aussi des esprits indépendans et libres, résolus à demander comment il se fait que, sous la république, un gouvernement peut engager sans prévoyance la dignité, les armes, les finances nationales dans des entreprises mal conçues, au risque d’affaiblir la France dans le monde.

Si nos affaires françaises restent assez obscures par la faute d’une politique sans direction et sans fixité, il y a du moins une chance ou une compensation si l’on veut, c’est que les affaires des autres nations ne paraissent pas beaucoup plus claires, ni beaucoup mieux assurées. Ce n’est point qu’il n’y ait à la surface de l’Europe un travail sensible