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Les actes mêmes du pape et du sacré-collège n’ont-ils pas, depuis 1870, hautement témoigné de leur liberté ? N’avons-nous pas entendu Pie IX flétrir impunément rois et empereurs, et n’avons-nous pas vu le conclave de 1878 élire un pape sans se préoccuper des vieilles prérogatives des puissances ?.. Léon XIII n’a-t-il pas canonisé Benoît Labre ? N’a-t-il pas auprès de lui des ambassadeurs qui ne lui soufflent pas toujours une politique sympathique à l’Italie ? Ne reçoit-il pas au Vatican des pèlerins, italiens ou étrangers, qui l’acclament dans l’enceinte même de la capitale avec des cris qu’en dehors du palais apostolique, l’autorité temporelle serait obligée de poursuivre comme séditieux ? Si, comme vous l’affirmez, le saint-père est gêné en quelque chose, s’il ne se sent pas libre, c’est uniquement dans le rôle tout extérieur de la papauté, dans la célébration publique de cérémonies auxquelles sa présence ne fait que donner un éclat de plus. Vous vous plaignez de ce qu’à la fête du Corpus Domini, Léon XIII ne puisse, agenouillé sur la sedia gestatoria, porter l’hostie consacrée autour de la colonnade du Bernin ; vous vous indignez qu’il ne puisse solennellement aller à Saint-Jean-de-Latran prendre possession de sa cathédrale traditionnelle ; mais, dans ce cas, c’est moins le pape que l’évêque de Rome qui est la victime des mauvais jours, et, ses fonctions d’évêque de Rome, le souverain pontife les exerce d’ordinaire, depuis des siècles, par l’intermédiaire du cardinal vicaire. Ni la procession du Corpus Domini sur la place Saint-Pierre, ni la bénédiction urbi et orbi du haut de la loggia de Maderno ne sont, pensons-nous, de l’essence des fonctions pontificales, et fût-il impossible à la papauté comme au catholicisme de se passer de ces fastueuses cérémonies, quand les avons-nous jamais prohibées ? Plus respectueux que d’autres gouvernemens des manifestations extérieures du culte, nous n’avons interdit à Léon XIII aucune procession, aucune pompe religieuse. Il ne dépend que de lui seul d’accomplir publiquement toutes ses fonctions d’évêque ou de pape. Qu’il s’asseye sur la sedia gestatoria, qu’il monte à la tribune de Saint-Pierre ou qu’il descende sur la place Vaticane, le chemin lui est ouvert. S’il ne le fait point, s’il persiste à s’enfermer dans son palais, ce n’est pas que nous l’y tenions emprisonné, c’est qu’en dépit des années, il s’obstine à porter devant les peuples le deuil de la royauté pontificale. Léon XIII est-il captif, il n’a d’autres chaînes que l’opiniâtreté de son entourage, il n’a d’autres geôliers que les conseillers qui le condamnent à demeurer cloîtré dans le Vatican[1]. »

  1. Quelques écrivains, M. E. Ollivier entre autres, ont affirmé que, lors de l’élection de Léon XIII, la police italienne avait fait prévenir le Vatican qu’il y aurait danger pour le nouveau pontife à se montrer au peuple et à officier à Saint-Pierre. Les feuilles italiennes les plus autorisées ont démenti ce bruit.