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que tous lui doivent avec l’obéissance que les fidèles seuls lui peuvent témoigner[1].

Les droits et prétentions auxquels l’église a tant de peine à renoncer ailleurs, elle ne peut se résigner à les abandonner à Rome. Aux yeux du saint-siège et de la plupart des catholiques, Rome n’est pas une ville ordinaire ; ce n’est ni une cité italienne, ni une capitale moderne ; c’est la ville des apôtres et la métropole de la catholicité. C’est l’héritage de Pierre, la propriété de l’église universelle. Le respect, les droits, les privilèges qu’ils demandent pour leur chef, les fidèles sont tentés de les revendiquer pour la ville où ce chef réside. L’inviolabilité réclamée pour sa personne, ils voudraient l’étendre non-seulement à son palais, mais à tout le sol romain. Cette Rome que le saint-siège avait refaite à son usage et à son image, c’était pour la papauté et les fidèles une véritable ville sainte. La sécularisation de la cité des apôtres est à leurs yeux une profanation ; l’érection dans ses murailles d’écoles libres penseuses, la construction d’églises hétérodoxes, la publication de feuilles impies, leur semblent un sacrilège. On sait la honte et la douleur des chrétiens du moyen âge à la pensée que Jérusalem et le tombeau du Christ étaient aux mains des infidèles. Rome au pouvoir des Italiens, Rome souillée par l’impiété et contaminée par l’hérésie, inspire au clergé et à nombre de catholiques un sentiment analogue. A une autre époque, il en aurait pu sortir des croisades. Dans la conscience catholique, Rome faisait en quelque sorte partie de la papauté, le siège de Pierre et la ville éternelle s’étaient pour ainsi dire incorporés l’un à l’autre. Entre le Janicule consacré par la crucifixion du chef des apôtres et le Colisée baigné du sang des martyrs, la liberté des sectes, la liberté de la presse, la liberté d’enseignement, la liberté de réunion et d’association, avec leurs inévitables attaques à la foi catholique, prennent l’aspect d’outrage personnel à l’hôte du Vatican. L’apothéose publique de Garibaldi ou de Mazzini, un congrès de francs-maçons ou de libres penseurs, tel qu’il a été plusieurs fois question d’en convoquer à Rome, est dénoncé comme un attentat contre le souverain pontife.

La papauté a d’autant plus de peine à se résigner à la sécularisation de son antique capitale que, au milieu de la transformation de l’Europe moderne, elle s’était efforcée de conserver à Rome, au gouvernement, à l’administration, le caractère chrétien que la révolution a partout effacé ailleurs. Pour le saint-siège, le petit état

  1. « Il faut, a dit par exemple Léon XIII lui-même, que le docteur universel de la foi, le vengeur de la morale chrétienne ait le libre pouvoir de fermer l’accès à l’impiété, et de maintenir la pureté de l’enseignement catholique. » (Lettre de Léon XIII au cardinal-vicaire, mars 1879.)