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pontificale et les biens de l’église, entre la royauté du pape et les propriétés de la papauté. En supprimant la royauté, il lui eût été loisible de respecter la propriété, de conserver au chef de l’église et à ses organes séculaires les biens, les terres qui leur avaient été légués par la piété des âges, les monumens que les papes avaient bâtis avec les offrandes de la catholicité. De cette façon, en perdant sa souveraineté, le saint-siège eût conservé le principal garant de la liberté dans nos sociétés, sur lesquelles règnent plus que jamais la fortune, le capital. Le successeur de Pie IX fût demeuré indépendant, dans le sens le plus vulgaire du mot, mais non le moins juste.

Il y avait à Rome et, autour de Rome, dans le vaste cirque de la campagna, des biens considérables, affectés depuis des siècles à des usages pieux sous le contrôle ecclésiastique. Ces biens, ces maisons, ces terres, on pouvait en reconnaître la propriété et la libre jouissance à l’église romaine. Si la papauté en dehors de ses palais, n’avait pas de biens propres, on pouvait, sur les biens des congrégations et des diverses institutions religieuses, constituer au saint-siège une sorte de dotation perpétuelle, dont les papes eussent été maîtres de disposer à leur gré. La situation de la papauté était assez unique dans le monde pour mériter une dérogation aux idées courantes en Italie, comme en France, sur la mainmorte. L’intérêt politique eût excusé une infidélité aux principes ou aux préjugés de nos législations modernes. En pareille occurrence, des Anglais, des Américains, les peuples qui comprennent le mieux la liberté et spécialement la liberté d’association et la liberté religieuse, eussent agi d’une tout autre manière que les Italiens. Ils eussent soigneusement séparé la propriété de la souveraineté ; ils se fussent montrés d’autant plus respectueux de la première qu’ils étaient obligés de porter la main sur la seconde.

Les Italiens, avec l’esprit de logique à outrance qu’ils ont en partie emprunté de nous et en partie hérité des juristes romains, les Italiens n’ont voulu s’écarter en aucune manière de leurs maximes sur les biens d’église et la mainmorte. Ils n’ont pas accordé au pape ce que, dans une certaine mesure, ils ont, temporairement au moins, toléré chez les curés des paroisses : des biens dont le prêtre pût vivre. La longue confusion faite durant des siècles entre la propriété et la souveraineté, l’antique confusion qui, depuis Charlemagne et la comtesse Mathilde, depuis la prétendue donation de Constantin, avait tant de fois tourné au profit de l’église, la maison de Savoie l’a en quelque sorte refaite en sens inverse, aux dépens de l’église et du saint-siège, enlevant à la fois au clergé romain les états que lui avaient reconnus les princes et les terres que lui avaient données les particuliers. En annexant les états de l’église, elle a incaméré, c’est-à-dire confisqué les biens ecclésiastiques.