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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/771

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Le gouvernement royal a cru devoir appliquer à Rome, sauf quelques minimes exceptions, les mêmes lois qu’à l’ensemble du royaume, qu’aux vieilles provinces piémontaises ou aux nouvelles provinces annexées. La capitale du monde catholique a été traitée comme la capitale de la Lombardie ou de la Toscane. Le Vatican sait peu de gré aux Italiens des quelques dérogations à leurs pratiques admises en sa faveur ; il se plaint qu’on en ait usé avec le saint-siège comme avec les congrégations, et avec le pape comme avec un moine.

« C’est là, me disait, il y a quelques mois, un savant catholique, membre du conseil municipal de Rome, c’est là un des faits qui dominent la situation actuelle et sur lesquels il est déjà malaisé de revenir. En appliquant à Rome, avec une impolitique rigueur, la loi sur les biens ecclésiastiques, en rançonnant jusqu’aux œuvres pontificales les plus inoffensives pour l’état et les plus méritoires pour la civilisation, telles que la Propagande ; le parlement italien, non content de découronner la papauté et l’église romaine, l’a spoliée de son patrimoine, frustrée de son héritage séculaire. On l’a sciemment dépouillée de ce qui la faisait vivre, elle et ses œuvres, car l’église romaine est un grand gouvernement spirituel qui ne peut fonctionner sans ses organes historiques, ses congrégations, ses administrations multiples. Ce n’est pas ce que se proposaient les premiers initiateurs du grand mouvement national, ce que projetait, assure-t-on, Cavour lui-même. Il eût autrement traduit la formule : Libera chiesa in libero stato. Avec les biens ecclésiastiques il eût constitué à la papauté un domaine indépendant, une dotation insaisissable dont elle eût pu vivre avec honneur[1]. Les successeurs de Cavour ont bien senti qu’ils ne pouvaient enlever à la chaire de Saint-Pierre ses revenus publics ou privés, sans lui donner quelque chose en compensation ; mais que lui ont-ils offert en échange de sa couronne ? Des valeurs ou des capitaux qu’elle pût administrer ou faire valoir à sa guise ? Nullement. Le grand-duc de Toscane, les princes dépossédés ont pu recouvrer leurs biens de famille ou leurs anciens apanages ; le pape n’a rien gardé du domaine privé de ses prédécesseurs. Au lieu de biens qu’il pût gérer librement, on lui a voté une subvention annuelle, un subside de l’état, en un mot un traitement, c’est-à-dire, de quelque nom qu’on le décore, un salaire, une pension, essentiellement précaire et révocable, qui

  1. Nous ne savons sur quoi, pour Cavour, repose cette assertion, mais plus d’un patriote italien avait, avant 1870, exprimé des idées analogues. « L’indépendance financière de la cour de Rome, écrivait Massimo d’Azeglio à M. E. Rendu, en 1861, serait assurée non par des subsides qui sont aléatoires, mais par des biens, des immeubles, des propriétés données au pape en Italie et dans divers pays catholiques. Alors le pape, comme l’église de Rome dans les beaux temps de ferveur religieuse, redeviendrait possesseur de biens déclarés inviolables, mais il ne serait plus possesseur d’hommes. » (Correspondance politique de M. d’Azeglio, publiée par M. E. Rendu.)