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les murs du palais de Léon XIII, au nom de quelle logique peut-on dénier à l’hôte souverain du Vatican le droit de trancher du dedans ce qui ne peut être tranché ab extra ?

Il y a plus : non-seulement l’exécution du jugement des tribunaux romains eût manifestement enfreint les clauses essentielles de la loi des garanties, mais les motifs mêmes sur lesquels se sont appuyés les juges du royaume pour affirmer leur compétence, sont en évidente contradiction avec la loi de 1871. Les admettre, ce serait ruiner par la base toutes les garanties solennellement et sincèrement assurées au souverain pontife. On s’étonne que des juristes aient pu à ce point se faire illusion et dénaturer le sens d’une des lois les plus importantes de l’état. Quels sont, en effet, les principaux motifs invoqués par la cour de Rome pour sa sentence du 9 novembre 1882? C’est avant tout le statut du royaume, rédigé à une époque où personne ne songeait que la constitution du Piémont pût jamais avoir force de loi dans la ville éternelle. C’est d’abord l’article 24, lequel déclare tous les citoyens égaux devant la loi. C’est ensuite l’article 63, lequel établit que toute justice émane du roi. C’est enfin l’article 71, lequel défend de distraire personne de ses juges naturels. Comment, en rédigeant un jugement ainsi motivé, la cour de Rome n’a-t-elle pas senti qu’elle ébranlait dans son principe la loi des garanties ? Car, si en vertu du statut de 1848, tous les Italiens sont égaux devant la loi, si Léon XIII est légalement assimilé aux vingt-huit ou vingt-neuf millions de sujets du roi Humbert, que sert au parlement d’avoir édicté en faveur du pape des privilèges et des immunités évidemment inconciliables avec la lettre de l’article 24 du statut? Et, si le pape doit tomber sous ce même article, où sont les fameuses garanties qui lui ont été assurées, que devient la souveraineté qui lui a été reconnue en juin 1871[1]?

En somme, par leur jugement du 9 novembre dernier, comme par les considérans sur lesquels ils l’ont motivé, les juges de la capitale du royaume nous paraissent avoir fait violence à l’esprit, si ce n’est à la lettre de la loi des garanties. En croyant être habiles et sauvegarder les droits de l’état, les gardiens attitrés de la loi n’ont abouti qu’à fournir des armes aux hommes qui, des deux camps opposés, attaquent la législation spéciale des guarentigie pontificali ; aux radicaux, qui dénoncent les immunités du Vatican comme une violation du statut; aux cléricaux, qui, dans toutes ces

  1. Nous touchons ici au plus grave défaut de la loi des garanties, c’est que, n’ayant pas de place dans le statut du royaume, et le statut, qui ne pouvait la prévoir, n’ayant pas été remanié pour elle, on peut soutenir que la loi entière est inconstitutionnelle. C’est à quoi, en effet, les radicaux n’ont pas manqué.