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Il faut distinguer d’abord entre l’esprit plus ou moins passager dans lequel une loi est faite et cette loi elle-même. Une loi, aussitôt qu’elle existe, prend nécessairement dans l’application un caractère d’impersonnalité et d’impartialité qui a pu lui manquer plus ou moins à l’origine. Les passions parlementaires passent, la loi subsiste. L’exécution en est confiée à des corps ou à des fonctionnaires qui, étant en présence des faits, sont tenus de pacifier, de concilier les intérêts, d’éclaircir les malentendus, d’introduire les nouveautés par l’usage et par la pratique en les mettant d’accord avec les mœurs, avec les défiances, avec les inquiétudes plus ou moins exagérées du public, mais légitimes, quand il s’agit de l’éducation des enfans. Telle passion a pu agir comme ferment pour susciter un progrès que la raison désintéressée n’aurait pas fait d’elle-même ; c’est le progrès qu’il faut considérer et non la passion. « Ce serait méconnaître le caractère et la portée durable de cette loi, dit un excellent esprit, M. Raoul Frary, que de n’y voir qu’une loi de combat ; elle est, avant tout, une loi de progrès. Il ne s’agit pas tant de fortifier la propagande des idées modernes que d’élargir le domaine intellectuel des femmes. C’est l’esprit de l’Université ; elle ne fait pas de polémique ; elle fait de l’enseignement[1]. »

En principe, le nouvel établissement ne pourrait être considéré comme une atteinte à la religion que si l’on allait jusqu’à soutenir que l’église seule a le droit d’instruire les femmes. Mais où prendrait-on un pareil principe ? Que l’église ait seule le droit d’enseigner la religion, cela est évident ; mais qu’elle ait seule le droit d’enseigner l’histoire, la géographie, et l’arithmétique, c’est ce qui est inadmissible. Jamais d’ailleurs, un tel droit n’a été revendiqué ; jamais il n’a été de dogme que l’enseignement profane dût être donné nécessairement par des prêtres. Les institutrices laïques qui existent aujourd’hui à côté des couvens ne sont pas hérétiques. Pourquoi l’état le serait-il davantage ? Le fait d’une instruction laïque donnée par l’état n’a donc rien d’irréligieux en soi. Mais, dira-t-on, n’est-ce pas pour faire concurrence aux couvens que l’on a voté la loi nouvelle ? Sans aucun doute ; mais la concurrence aux couvens n’est pas par soi-même une entreprise irréligieuse : autrement, encore une fois, toutes les pensions laïques seraient hérétiques ; ce que personne n’osera dire. L’état peut avoir des raisons de croire que les couvens offrent peu de garanties de solide instruction ; il peut, ne fût-ce que parce qu’il ne sait pas ce qui s’y passe, trouver un tel enseignement insuffisant. Si l’état a quelque responsabilité

  1. Revue de l’enseignement secondaire des jeunes filles. (Juillet 1882, p. 5.)