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corps de l’ouvrage, de la Connaissance de Dieu et de soi-même, de Bossuet. C’est un livre entièrement et exclusivement philosophique. S’il en est ainsi de la théologie naturelle, pourquoi n’en serait-il pas de même de la morale naturelle ? Dans ce même traité de Bossuet, il y a un traité sur les vertus et les vices qui ne repose en aucune façon sur l’autorité théologique et où il n’y a pas un mot qui se rapporte particulièrement à la morale chrétienne plus qu’à toute autre morale. S’il avait plu à Bossuet de développer ce chapitre et d’en faire un livre, nous pourrions avoir de sa main un traité de morale indépendante, j’entends indépendante de la morale révélée. Dans le de Legibus, de saint Thomas, le traité qui porte sur la loi naturelle est un traité de pure morale philosophique, comme en aurait pu faire Cicéron. Dans le traité de Virtutibus, saint Thomas expose quatre théories superposées l’une à l’autre et qui sont comme les quatre degrés d’un même échafaudage. Les trois premières théories sont empruntées à Aristote, à Platon, et à Plotin, c’est-à-dire à trois sages païens ; la quatrième, seule, celle des vertus théologales, vient de saint Paul. Celui qui lui emprunterait les trois premiers degrés de sa théorie, en laissant à l’église le soin d’exposer la quatrième, ferait-il une œuvre irréligieuse ? Nous pouvons invoquer d’ailleurs ici un témoignage récent, bien autorisé pour prononcer en cette matière : « Rien dans la doctrine catholique, dit l’abbé de Broglie, ne s’oppose à l’enseignement d’une morale fondée sur des bases rationnelles. La loi du de voir se confond en dernière analyse avec la volonté de Dieu, mais cette volonté n’est pas arbitraire, et elle est, dans ses prescriptions fondamentales, nécessaire et éternelle. Cette loi naturelle nous est manifestée par la révélation ; mais elle se manifeste aussi par la raison et la conscience de chacun. Non-seulement l’enseignement de la morale naturelle fondé sur la raison et la conscience n’a rien de contraire à la foi, mais il peut au contraire être très salutaire pour les chrétiens. Ils reconnaîtront en effet que la conscience impose sur bien des points des obligations aussi rigoureuses que l’évangile et seront portés à remercier Dieu de leur avoir donné dans la grâce et les sacremens les secours nécessaires pour obéir à la loi[1]. » Dans cette doctrine, on voit qu’il y a une morale naturelle qui repose sur la raison seule, et que la révélation n’intervient que pour prêter des secours à la faiblesse humaine. L’état enseignera la morale naturelle ; la religion y ajoutera, pour ceux qui y croient, les moyens surnaturels dont elle dispose. Ou est la contradiction ? L’état ne se

  1. Dieu, la Conscience, le Devoir, par l’abbé de Broglie. Ce petit ouvrage est un vrai traité de morale laïque.