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charge pas d’imposer à personne ces moyens surnaturels, mais il ne les interdit à personne. La morale philosophique est bonne en soi, lors même qu’on la jugerait insuffisante et qu’on croirait nécessaire d’y ajouter un complément. L’état ne proscrit, ni ne condamne, ni ne juge ce complément ; mais il ne commet aucun empiétement sur les consciences en déclarant que, pour ce qui concerne les intérêts de l’état et la paix de l’ordre civil, la morale naturelle lui suffit.

On pousse plus loin l’objection, et l’on dit : Oui, l’on peut admettre la séparation de la morale naturelle et de la morale révélée, et en ce sens reconnaître une sorte de morale indépendante ; mais, ce qui est inadmissible, c’est une morale sans Dieu ; or, n’est-ce pas la morale sans Dieu que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de morale laïque ? On va même jusqu’à appeler la dernière loi de l’instruction primaire la loi de l’athéisme obligatoire. C’est là une complète altération de la vérité. C’est au conseil supérieur qu’appartient seul, d’après la loi, la rédaction des programmes d’enseignement ; or tous les programmes de morale, sans exception, soit de l’enseignement primaire, soit des écoles normales, soit de l’enseignement classique, de l’enseignement spécial, de l’enseignement des filles, tous ces programmes comprennent l’idée de Dieu de la liberté, du devoir. Toutes les fois qu’on a demandé à M. Jules Ferry des garanties en faveur des idées religieuses et morales, il a toujours répondu que la vraie garantie, c’est que l’université, dans son ensemble, est spiritualiste ; que son enseignement, à tous les degrés, est animé de l’esprit spiritualiste. Et quelle autre garantie pourrait être efficace, si celle-là ne l’était pas ? Si, en fait, l’université n’était plus spiritualiste ou idéaliste, à quoi servirait-il de mettre Dieu, l’âme, l’idéal, dans les programmes ? Ce serait lettre morte. En fait, l’enseignement actuel est si peu un enseignement d’athéisme obligatoire qu’on lui a reproché au contraire, d’un autre côté, d’être un enseignement de spiritualisme obligatoire. La vérité est qu’un enseignement d’état doit être assez large pour réunir le plus grand nombre possible d’opinions diverses, mais non pas jusqu’au point de ne plus rien enseigner du tout. Si on écarte l’idée de Dieu au nom de la liberté de penser, comme le veulent les radicaux, on écartera également l’idée du de voir au nom de la même liberté puis l’idée de famille ou de propriété, ou même de patrie ; car il y a des sectes qui rejettent toutes ces idées. Ou l’état ne doit rien enseigner du tout, si ce n’est l’arithmétique et la géométrie, et pour cela l’initiative privée est bien suffisante ; ou, s’il enseigne, c’est pour inspirer à la nation une âme et un esprit, ce qui est impossible sans une certaine doctrine. En tout cas, on voit que ce qui est reproché aux nouveaux programmes, ce