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n’est point d’avoir méconnut et écarté les principes spiritualités, c’est au contraire de les avoir déclarés et proclamés.

L’enseignement d’une morale naturelle est donc justifié en droit ; elle l’est en fait par la nécessité de faire vivre ensemble les croyances et les opinions les plus différentes. Là est la base solide de ce que l’on a appelé l’enseignement laïque. C’est l’essence même de notre société ; c’est le fondement de toutes nos lois. L’enseignement publie doit être l’expression de cet esprit, aussi bien pour les filles que pour les garçons. Il faut que les femmes apprennent que les hommes peuvent penser différemment sur les choses les plus élevées sans cesser de s’estimer réciproquement. Rien n’est plus conforme aux principes du christianisme. L’expliquer autrement, c’est le rabaisser, c’est le rendre impropre à remplir les devoirs qui lui incombent encore dans nos sociétés modernes, c’est le réduire enfin à un rôle stérile et d’avance condamné.

Il reste donc démontré que ni le principe d’un enseignement de l’état pour les filles, ni l’organisation de cet enseignement, ni l’idée d’une morale naturelle ne sont, en principe, opposés à la religion. On pourra nous l’accorder ; mais, dira-t-on, qui nous assure qu’en fait cet enseignement restera fidèle aux principes de neutralité que vous proclamez vous-même ? N’est-ce pas l’esprit, d’irréligion, de haine au christianisme et à toute religion qui anime la politique actuelle et qui a inspiré tout le système des lois récentes sut l’instruction publique, et en particulier celle dont il s’agit ici ?

Ce serait singulièrement dépasser la sphère du sujet qui nous occupe que de nous croire, obligé à discuter toute la politique religieuse du gouvernement de la république depuis son établissement définitif. L’histoire appréciera cette politique, et ce n’est pas au moment même où nous demandons que la loi nouvelle soit acceptée dans un esprit pacifique que nous irions par des récriminations inutiles éveiller des susceptibilités qui, même exagérées, sont infiniment respectables. Cependant comment ne serions-nous pas autorisés à dire que les passions, irréligieuses et haineuses dont on se plaint avec raison n’existaient à aucun degré en 1848 ? À cette époque, on s’en souvient, on appelait partout le clergé à bénir les arbres de la liberté. Le père Lacordaire était nommé député de Paris sur la liste républicaine. On ne cite aucun acte de violence contre la religion[1], tandis que, sous Louis-Philippe, la même passion qui sévit aujourd’hui avait provoqué le sac de l’archevêché, de Paris. En 1848, l’assemblée constituante était déiste, et avait fait

  1. Excepté le meurtre de l’archevêque de Paris, qui a été un acte isolé, et peut-être l’œuvre d’un scélérat, mais non pas le résultat d’une passion politique.