Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/854

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renverser même instantanément le sens de son action, de le conduire enfin et de le maîtriser comme on a fait pour la machine à vapeur.


VII.

J’ai comparé M. Marcel Deprez à Léon Foucault, il pourrait rappeler plus encore peut-être, avec des qualités plus éminentes, la figure admirable, mais trop peu connue, du grand constructeur G. Froment. Gustave Froment était entré à l’École polytechnique en 1835, son rang était médiocre, mais ses camarades l’avaient, très sérieusement, surnommé l’Homme de génie. Quinze ans après, Léon Foucault écrivait : « Pour qui n’a plus à redouter que des difficultés d’exécution, fallût-il demander des prodiges, M. Froment est là, dont le talent n’est jamais resté en défaut devant un problème nettement posé. » Les difficultés d’exécution n’absorbaient pas Froment tout entier, ses camarades avaient raison, et Foucault, en louant avec une juste reconnaissance la merveilleuse habileté de l’artiste, aurait pu rappeler l’étendue de son esprit et la solidité de son savoir. Gustave Froment vivait dans ses ateliers; c’est là qu’il dépensait en secret son génie. Un moteur électrique, dès l’année 1844, conduisait les machines à diviser et mérite une place d’honneur dans l’histoire de l’électricité. Heureux au milieu de ses machines, fier peut-être de voir des savans illustres solliciter son concours, Froment ne voulut être qu’un constructeur hors ligne. Il ne publiait rien, ne communiquait rien aux académies, ne leur demandant ni une récompense, ni l’honneur de pénétrer dans leurs rangs. Il ne se plaignait pas qu’on ignorât son mérite, et ses contemporains sont excusables de l’avoir laissé dans la demi obscurité et dans la solitude qui lui plaisaient.

M. Marcel Deprez, bien différent en cela de Froment, communique toutes ses idées, expose au grand jour tous ses résultats et s’efforce d’être utile à tous; il admet quiconque le demande à contrôler ses assertions et désire avant tout qu’on en pèse le mérite.

Il y aurait injustice à le refuser.


J. BERTRAND.