mais exigeant de chacun tout ce qu’il pouvait donner et ne tolérant
pas le bruit. « Quel chien aboie de ce côté ! » s’écriait-il, en regardant l’élève qui tapait trop dur. Mais, si prompt qu’il fût à s’emporter, une larme avait aussitôt raison de ses colères. Il voulait de l’intelligence, de l’âme, et dans le toucher beaucoup de sensibilité, de naturel, préférait les pianos de Pleyel à ceux d’Érard à cause du moelleux de leur résonance. Il commençait par vous mettre au régime des exercices de démenti, en majeur et en mineur, en allant du piano au fortissimo, du staccato au legato, et la cantilène de Bellini dite par les chanteurs italiens de ce temps-là lui semblait la meilleure école pour apprendre à phraser sur son instrument. Plus tard, lorsque son mal de langueur l’entreprit, il donna ses leçons étendu sur un canapé, ayant à sa portée un piano dont il se servait pour sa démonstration ; mais, à l’heure où nous sommes, aucune consomption physique ni morale ne l’empêchait de vaquer librement à ses travaux comme à ses plaisirs. Le portrait que Scheffer a peint de lui nous le représente, aux environs de cette époque, svelte et d’attitude nonchalante, gentlemanlike au dernier point : le front superbe, les mains d’une distinction rare, les yeux petits, le nez fort, mais la bouche d’une finesse exquise et doucement close comme pour taire une mélodie qui veut s’échapper. J’ai cherché vainement ce charmant portrait à l’exposition du quai Malaquais ; pourquoi n’y figura-t-il pas ? Il est vrai qu’après en avoir, au premier abord, regretté l’absence, on s’en console vite, la musique de Chopin étant, sur l’être même de Chopin, le meilleur et le plus personnel des documens. La moindre de ses œuvres vous le raconte et vous le livre ; il semble, a dit un poète, qu’elle vous apporte avec elle l’odeur de la motte de terre où elle a germé : vous y voyez le rayon de soleil qui se jouait à ce moment-là autour de sa plume,
comme vous y surprenez l’ombre funéraire qui l’aura subitement
offusqué.
La monarchie de juillet, avec ses mœurs accommodantes, ses formes libres, son luxe financier, son aristocratie intelligente, offrait au dilettantisme l’atmosphère la plus favorable. Chopin s’y établit comme dans de la ouate. S’il y a des tempéramens que les épreuves du milieu n’atteignent pas, il est aussi des organisations délicates qui ne sauraient vivre et se développer partout. La Symphonie héroïque a pu naître dans un grenier, parmi les privations, ayant en elle-même sa substance propre et son calorique, tandis que cet