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reflète, il faut qu’il sente tout d’abord le reflet même sous forme d’une modification; c’est donc la modification quelconque, l’affection qui est primitive, non la représentation. Dès lors, la question reprend toujours la même forme : — Est-ce la modification indifférente (en supposant qu’il en existe), ou est-ce la modification non indifférente, plaisir ou douleur, qui est primitive? Nous avons vu ce qu’il faut répondre, et comment la théorie de l’évolution confirme notre analyse psychologique. Le caractère fondamental et primitif de l’émotion agréable ou pénible est encore prouvé par ce fait que l’émotion, par exemple la douleur, est ce qui disparaît en dernier lieu de la conscience. Quand on s’endort au milieu de quelque grande souffrance, physique ou morale, , on finit par ne plus rien vouloir, par ne plus rien penser, par ne plus rien percevoir du dehors, mais la douleur occupe encore la conscience : elle reste et veille la dernière. On a vaguement conscience de souffrir, et c’est tout. Cela tient sans doute, comme on l’a justement remarqué, à ce que l’émotion agréable ou douloureuse n’a besoin, pour être fixée, d’aucune image, d’aucun signe; elle n’implique rien que ne puisse envelopper la conscience la plus élémentaire et la plus pauvre[1].

Il faut donc se figurer l’état mental le plus simple comme un état enveloppant quelque peine ou quelque plaisir rudimentaire, un bien-être eu un malaise vague. Dans cet état, le côté « émotionnel » domine avec la réaction motrice qui en dérive, et le côté intellectuel n’est pas encore séparé. Conséquemment l’inconscience, qui suppose l’indifférence, est quelque chose d’ultérieur par rapport à la sensibilité, et il n’est pas impossible de comprendre comment cet état s’est développé par une évolution naturelle. A l’origine, toutes les émotions étaient agréables ou pénibles, et elles le sont encore toutes, très probablement, chez les organismes inférieurs. Ces organismes élémentaires sont sollicités à agir par un besoin, et un besoin est une peine plus ou moins notable, tout au moins un malaise; la satisfaction du besoin est suivie de plaisir. Ce rythme du plaisir et de la peine, ce passage incessant du malaise au bien-être et du bien-être au malaise, est le fond de la vie mentale; il est en parallélisme avec le perpétuel mouvement d’organisation et de désorganisation essentiel à la vie. Mais peu à peu, par l’effet de l’habitude, le mouvement accompli d’abord sous une impulsion de peine ou de plaisir notable est devenu plus facile et s’est accompli sous une moindre excitation. En même temps, un mécanisme fonctionnant d’une manière automatique tendait à s’établir. Il en est résulté que l’élément

  1. Voir M. Colseret: la Vie inconsciente de l’esprit, p. 242, et M. Spencer, la Conscience sous l’action du chloroforme, dans la Psychologie.