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on chatouille la plante des pieds avec une plume, la jambe se relève sans que le patient s’en aperçoive, « à moins, dit M. Maudsley, qu’il ne voie le mouvement. » Hunter cite le cas d’un homme qui avait la moitié inférieure du corps paralysée, et dont les jambes exécutaient des mouvemens violens toutes les fois qu’on lui chatouillait les pieds; quand on lui demandait s’il sentait l’irritation, il répondait : « Non, monsieur, mais vous voyez que mes jambes la sentent.» — Là est précisément la question.

C’est cette conclusion qui est encore aujourd’hui l’objet d’intéressantes controverses. Et il n’y a ici que deux hypothèses vraiment rationnelles. Ou bien il existe jusque dans les plus simples réflexes, comme le croient Pflüger et Lewes, un minimum de sensation qui en est la condition vraie; et conséquemment il y existe, avec de la sensibilité, de la conscience rudimentaire. Ou bien, comme le prétendent MM. Maudsley, Wundt, Ferrier et Luys, tous les mouvemens accomplis par les centres nerveux inférieurs, une fois séparés des centres supérieurs, sont déterminés d’avance dans l’organisme par sa constitution mécanique et résultent simplement des propriétés mécaniques du système nerveux. Dans les deux hypothèses, remarquons-le, « l’inconscient » en soi de Hartmann, qui ne serait plus du pur mécanisme, mais de l’existence à la fois mentale et inconsciente, est une entité parfaitement inutile ; il est illogique d’imaginer un « esprit inconscient » qui règle sans le savoir les mouvemens de l’animal adaptés à un but : c’est là une hypothèse de métaphysique fantaisiste. Maintenant, des deux hypothèses vraiment scientifiques, quelle est la plus probable? C’est ce qu’il n’est pas facile de décider. Il nous semble que les deux peuvent être vraies à la fois, chacune dans son domaine, et que les réflexes ont une explication en partie mécanique, en partie psychique. M. Wundt, sans doute, a raison de dire qu’on peut imaginer un mécanisme assez parfait pour que la grenouille ou l’homme décapités continuent d’étendre la patte ou le bras sous une excitation. L’hypothèse mécaniste de Descartes est ici soutenable. Mais, d’autre part, en poussant à l’extrême cette hypothèse, on aboutirait à l’automatisme des bêtes ; or, chez les bêtes, il y a évidemment sensation. Qu’est-ce donc qui nous assure que, dans les tronçons séparés d’un myriapode, qui continuent à marcher et à se défendre, il n’y a pas encore quelque sensation? Qui nous assure qu’il n’y a pas de même des sensations confuses dans la moelle épinière d’un vertébré quand cette moelle réagit, surtout si l’on considère l’animal total comme un composé de vivans et une société d’organismes? Ferrier, après avoir dit que des mouvemens réflexes parfaitement adaptés « peuvent être produits sans conscience. par la moelle épinière, » ajoute cet aveu : « Il