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n’y a pas, dans la physiologie des centres nerveux, un problème plus difficile que celui qui consiste à distinguer les phénomènes purement réflexes des phénomènes de conscience, d’intelligence, de sensation[1]. »

Pour montrer que la conscience sensitive est répandue dans tout l’organisme et que le mécanisme réflexe a lui-même une « face psychologique, » on peut tirer argument, selon nous, du principe de l’évolution et de la sélection universelle. L’anatomie comparée, avec Geoffroy Saint-Hilaire, nous montre dans le crâne une vertèbre plus développée, partie antérieure de la colonne vertébrale, et le cerveau n’est de même que la partie antérieure de la moelle épinière : le crâne et le cerveau sont de simples produits d’une « différenciation » et d’une « intégration » progressives. De même, la substance grise, qu’elle soit celle du cerveau ou celle de la moelle, offre à l’anatomiste et au physiologiste des élémens histologiques semblables; comment donc le biologiste et le psychologue pourraient-ils leur attribuer des propriétés absolument différentes? Quoi ! la substance grise du cerveau répondrait à de la sensation, à de la conscience, et tout d’un coup sensation et conscience cesseraient quand on descend les degrés du cordon nerveux ?

M. Jules Luys finit lui-même par dire : « J’ai été amené à considérer d’une façon générale le fonctionnement dynamique du cerveau comme n’étant qu’une amplification plus ou moins considérable du mode de fonctionnement des différentes régions de l’axe spinal. » Qu’est-ce que le fonctionnement « dynamique » du cerveau, sinon la sensation et la réaction motrice? La sensation et la volonté ne sont donc que « l’amplification » de ce qui se passe déjà dans la moelle. Les fonctions du cerveau se ramènent, selon M. Luys comme selon M. Vulpian, à des actions réflexes très compliquées; or ces actions réflexes du cerveau ont un revers mental, la sensation; donc, peut-on conclure, les actions réflexes de la moelle doivent avoir aussi un revers mental. « Le moral, disait Cabanis, est du physique retourné; » mais le physique, à son tour, et surtout le physiologique, est du moral retourné, car on peut soutenir tout aussi bien que c’est du côté de la sensation qu’est le véritable « endroit des choses, » et que les mouvemens sont de simples effets ou des rapports de sensations.

Cette théorie a l’avantage d’accorder aux deux autres tout ce qu’elles renferment de positif, sans admettre les mêmes exclusions. A ceux qui voient dans le cerveau, avec MM. Luys et Maudsley, un fonctionnement tout mécanique d’actions réflexes, on peut dire :

  1. Les Fonctions du cerveau, traduction de M. de Varigny, p. 29.