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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/908

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sans que l’individu, comme individu, le sente. C’est probablement ce qui a lieu dans l’expérience de Goltz. Si on place dans le creux de la main étendue une grenouille privée de ses hémisphères cérébraux, elle s’y accroupit tranquillement ; si alors, comme fit Goltz, on retourne la main doucement, la grenouille remue une patte, puis l’autre, de façon à ne pas tomber et à monter peu à peu sur le bord de la main qui s’élève ; si on continue de tourner la main, la grenouille se trouve sur le dos de cette main et y reste immobile jusqu’au moment où, par un mouvement inverse, on la force à revenir sur la paume. Le sens musculaire et le sentiment de la pesanteur, excités dans ce cas chez la grenouille, produisent des mouvemens adaptés. Le stimulus sensoriel met alors en jeu le même mécanisme auquel aurait eu recours la stimulation intellectuelle et volontaire. Cette dernière stimulation, d’ailleurs, chez l’être normal, ne pourrait pas agir sans l’action des centres inférieurs : elle se bornerait à susciter ou à diriger cette action. Les centres inférieurs, au contraire, peuvent agir et réagir sans les centres de l’intelligence et de la volonté, pourvu qu’il y ait une excitation sensorielle ; c’est ce qui a lieu chez la grenouille sans cerveau, et nous croyons que cette excitation sensorielle est une émotion agréable ou pénible ayant son siège dans la moelle. Si cette même grenouille, privée de ses hémisphères, est caressée légèrement entre les épaules ou au flanc, elle coasse avec une régularité machinale, une fois à chaque attouchement, tandis que l’animal à l’état normal ne coasse pas, ou au contraire le fait plusieurs fois; car ses hémisphères, selon la remarque de Maudsley, lui permettent à son gré d’arrêter ou de renforcer l’action réflexe. Mais les grenouilles mêmes qui ne veulent pas coasser lorsqu’elles ont le cerveau intact, le font facilement et régulièrement après l’ablation des hémisphères. De même, elles s’abstiennent toutes de coasser si l’irritation, au lieu d’être agréable, est douloureuse. Elles font alors des gestes de défense, ou parfois poussent un cri de douleur. Nous croyons qu’alors il y a parallèlement au mécanisme, une émotion de malaise plus ou moins vague. A en croire M. Maudsley, au contraire, « ces actions sont aussi complètement physiques que les mouvemens successifs du piston et des roues d’une machine à vapeur. » De même, selon lui, il n’est pas plus étonnant de voir les jeunes canards nager immédiatement dans l’eau, par un mécanisme réflexe, et les poulets se noyer, « que de voir le bois flotter et le fer s’enfoncer[1]. » Parler ainsi, c’est n’apercevoir qu’un côté des phénomènes. Assurément il y a dans les actions réflexes un mécanisme et même, sous le rapport des actions et réactions extérieures entre les cellules, tout y est mécanique ;

  1. Physiologie de l’esprit, tr. fr., p. 189.