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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/907

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— Oui, tout se fait dans le cerveau selon des lois mécaniques, sans exception; mais, d’autre part, les lois mécaniques sont au fond les mêmes que les lois mentales, et la sensation est le dedans du mécanisme; c’est parce qu’il y a dans les élémens cérébraux plaisir ou douleur rudimentaire qu’il y a plaisir ou douleur dans la conscience totale du cerveau ; et c’est aussi parce qu’il y a de vagues sensations de peine ou de plaisir dans les élémens médullaires qu’ils réagissent sous les excitations.

Voici ce qui cause une légitime répugnance aux esprits scientifiques tels que M. Maudsley, dans l’hypothèse qui répand la sensibilité et la conscience tout le long de la moelle. C’est que les partisans de cette dernière hypothèse, comme M. de Hartmann, ont souvent voulu voir dans la réaction des centres inférieurs une pensée adaptant des moyens à des fins, une volonté poursuivant un but; ce qui les a obligés en même temps de supposer que cette volonté est inconsciente. Mais il n’est point nécessaire de tomber dans ces fantaisies. Il ne faut pas placer dans la moelle une « conscience médullaire » analogue à la conscience cérébrale, qui aurait l’idée d’un obstacle à écarter et la volonté de l’écarter, on n’y peut placer qu’une sensibilité diffuse et aveugle. Toute l’argumentation de M. Maudsley en faveur du pur mécanisme est viciée par la confusion de cette sensibilité avec la finalité intellectuelle. Il croit réfuter Pflüger en disant: « Le fait qu’un mouvement s’accomplit en vue de ce qu’on nomme un but n’implique pas nécessairement que ce fait soit volontaire, prémédité ou conscient[1]. » Mais, c’est là ne pas comprendre la vraie question. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a dans la moelle raisonnement, préméditation, réflexion consciente; il s’agit de savoir simplement s’il y a des sensations plus ou moins vagues dans les centres nerveux de la moelle : sous l’influence d’une irritation sentie comme, pénible, ces centres réagiraient aveuglément, mais cependant de manière à faire fonctionner le mécanisme habituel des organes, qui aboutit, par exemple, à tel mouvement du pied ou de la main. « Le fait de sentir, dit M. Maudsley, implique-t-il ce que nous entendons par ces paroles : Moi je sens, moi j’ai conscience, il est impossible alors que le polype ou la moelle sans cerveau sentent. Sinon, il faut trouver un autre terme pour désigner l’irritabilité organique, cette soi-disant sensation, que l’individu comme tel n’a pas, mais que nous attribuons aux moindres particules de son protoplasme vivant. » — Nous répondrons que sentir n’implique nullement : « Moi je sens, » que la conscience immédiate d’une douleur n’implique pas la conscience réfléchie, que des cellules peuvent être émues d’une manière pénible

  1. Physiologie de l’esprit, tr. fr., p. 129.