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vaste. Je me bornerai à en indiquer la physionomie, à montrer quelle a été, en face de l’ennemi, l’attitude des officiers et des soldats de cette armée égyptienne qu’on avait prise, hélas ! au sérieux parmi nous, et qui ne devait pas résister plus d’un quart d’heure à l’assaut d’une troupe européenne. Je ne ferai pas de stratégie, je n’exposerai pas les plans de défense élaborés par les insurgés, je ne jugerai pas les manœuvres de l’armée anglaise. A quoi bon ? La campagne égyptienne n’a pas été une véritable campagne : elle n’a été qu’une simple promenade militaire, promenade qui aurait pu être rapide comme l’éclair si les Anglais avaient su ou voulu marcher vite ; qui a été lente, au contraire, parce que leur tempérament militaire et l’organisation de leur armée ne semblent pas propres aux opérations rapides ; mais promenade véritable, dans laquelle ils n’ont rencontré aucun obstacle, et qui s’est terminée par une course, en chemin de fer, comme s’il se fût agi d’un simple voyage de touristes ou d’une excursion d’amateurs allant visiter le Caire, la ville des califes, pour admirer sans le moindre risque ses charmantes mosquées et ses délicieuses maisons arabes.


I

On ne saurait contester que, si le bombardement d’Alexandrie s’explique et se justifie très aisément comme manœuvre politique et diplomatique, comme coup de grâce porté à la conférence de Constantinople et aux illusions du concert européen, il ne saurait, en revanche, être trop blâmé comme opération militaire. Après les massacres du 11 juin, personne ne pouvait ignorer le degré d’excitation fanatique où étaient tombés les chefs de l’insurrection égyptienne et les sinistres projets qu’ils nourrissaient dans leur esprit pour se venger de l’Europe et des chrétiens. En de telles circonstances, bombarder, sans être prêt à l’occuper immédiatement, une ville où se trouvaient dix mille hommes de troupes incapables de se battre, mais préparés à tous les crimes, c’était, à coup sûr, l’exposer de gaîté de cœur à la destruction, et vouer ses habitans à l’assassinat. Mais les Anglais ont la main lourde, et si leur politique, dès que leur intérêt le commande, est d’une philanthropie sans bornes, aucune considération d’humanité ne l’arrête lorsqu’au contraire elle trouve quelque avantage à la brutalité. Les deux chefs de la campagne égyptienne, l’amiral Seymour et le général Wolseley, ont reçu, en Angleterre, les mêmes récompenses ; l’un et l’autre ont été faits lords, l’un et l’autre ont obtenu une pension à vie. Cette égalité d’honneurs ne s’explique assurément point par l’égalité des services. Le général Wolseley a sauvé le Caire ; l’amiral Seymour a laissé détruire Alexandrie sous ses yeux, sans rien faire