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Simon précisait en peu de mots, il n’y a que quelques mois, dans un livre éloquent, le point où l’on peut se demander si, au dedans, il y a un gouvernement et si, au dehors, il y aura bientôt une France. C’est notre histoire d’aujourd’hui, à la veille de la rentrée des chambres, au moment où ministère et parlement vont se retrouver en présence pour des explications qui ne peuvent manquer d’une certaine solennité. Il faut savoir si la France est destinée à épuiser jusqu’au bout les déboires de la fausse politique qu’on lui fait, ou si le gouvernement, averti du péril, aura assez de résolution pour se redresser de son propre effort et tenter de réparer des fautes dont il a été lui-même le complice. C’est toute la question qui se débat dans cette crise nouvelle, que le passage du roi d’Espagne n’a pas seul créée, qu’il a du moins précipitée, et d’où il s’agit maintenant de sortir.

Il y a deux choses dans cette maussade situation faite à la France par les déplorables scènes qui ont signalé le passage du roi Alphonse à Paris et qui ne pouvaient manquer d’avoir un triste retentissement en Europe. Il y a une difficulté extérieure qui ne peut avoir rien d’imprévu, à laquelle il fallait s’attendre, après ce qui venait d’arriver, et il y a une question tout intérieure qui est née immédiatement des circonstances mêmes, qui devait naître fatalement.

La difficulté extérieure, si délicate qu’elle soit, n’a certes rien d’insoluble pour la raison d’une diplomatie bien intentionnée. Des manifestations de rues, des vociférations d’une multitude irresponsable ne sont pas l’opinion d’un pays, pas même d’une ville ; elles ne changent pas les relations traditionnelles de deux nations sensées qui se respectent, et le gouvernement français, il faut le dire, s’est hâté de faire ce qu’il pouvait, ce qu’il devait, pour couper court à tout malentendu, pour effacer les impressions pénibles qu’auraient pu laisser les injures de la rue. M. le président de la république lui-même, plus zélé peut-être à réparer le mal qu’à le prévoir et à le prévenir, n’a point hésité à se rendre auprès du souverain espagnol pour lui porter le désaveu des « misérables » qui déshonoraient le pays par leurs manifestations, le témoignage des sentimens de cordialité et de sympathie de la vraie France courtoise et hospitalière. M. le président du conseil, de son côté, n’a rien négligé, à ce qu’il semble, pour dégager le gouvernement de toute solidarité avec les manifestans du 29 septembre, et le jeune souverain, à son tour, a mis dans toute sa conduite comme dans son langage autant de tact que de modération. Il n’a pas prolongé son séjour autant qu’il l’avait projeté, il n’avait aucune raison de faire plus ample connaissance avec les démagogues parisiens ; il a su cependant se défendre de tout mouvement de mauvaise humeur, il n’a pas voulu brusquer son départ. Il a reçu avec un mélange de dignité et de bonne grâce toutes les explications qui lui ont été portées, qui étaient manifestement sincères, et il a montré qu’il se tenait pour satisfait en