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acceptant de paraître au banquet que M. le président Grévy lui a offert à l’Élysée. Tout s’est donc passé aussi correctement que possible, et un instant la question diplomatique a pu paraître terminée avec le départ du roi. Après cela, que l’orgueil espagnol se soit un peu réveillé quand on a eu repassé les Pyrénées, quand on s’est retrouvé au milieu des effervescences du sentiment national offensé par les scènes de Paris, et que les têtes vives aient cru alors nécessaire de reprendre la querelle, d’exiger de plus amples réparations, cela se peut. Dans tous les cas, le gouvernement français avait évidemment agi avec une certaine habileté en allant au-devant de toutes les réclamations qui pouvaient lui être adressées, en désintéressant spontanément les légitimes susceptibilités de l’Espagne. Il avait fait tout ce qu’il pouvait, aux yeux mêmes de beaucoup d’Espagnols, et la meilleure preuve, c’est que le jour où le ministre des affaires étrangères de Madrid, M. le marquis de la Vega y Armijo, a voulu proposer au conseil d’aller plus loin, d’adresser à la France des réclamations nouvelles ou plus accentuées, il n’a pas été suivi par la plupart de ses collègues ; il n’a réussi qu’à précipiter la crise ministérielle, qui, après avoir été longtemps en suspens, vient d’éclater à Madrid. C’est qu’en effet le gouvernement français, par la promptitude impatiente avec laquelle il a donné toutes les satisfactions possibles, avait d’avance enlevé toute raison sérieuse de prolonger un incident pénible entre les deux pays. Il aurait pu, si l’on veut, s’exécuter plus complètement encore ces jours derniers en mettant tout simplement au Journal, officiel les paroles mêmes adressées par M. le président de la république au roi Alphonse sans renvoyer à la relation d’une agence sans mandat. Au fond, c’eût été la même chose. Le fait des satisfactions accordées à l’Espagne reste acquis, et le nouveau ministère qui se forme à Madrid ne songera pas vraisemblablement à raviver une querelle qu’il vaut mieux oublier dans l’intérêt des rapports essentiels des deux nations.

La situation se trouve donc, selon toute apparence, allégée d’un certain poids de ce côté; mais si la question diplomatique semble notablement atténuée, la question intérieure née de cette triste aventure du 20 septembre demeure entière avec ses complications et ses obscurités. Il resterait à savoir dans quelles conditions s’est produit cet incident, devenu un instant un si grave embarras pour le gouvernement, et ici c’est vraiment toute la politique du jour qui est en cause. Car enfin ceux qui ont accueilli par des outrages un hôte de la France ne sont pas sans doute les seuls coupables. Ces manifestans qui se retrouvent toujours dans la rue au premier signal révolutionnaire ont été excités et ont pu se croire encouragés. Ils ont eu directement ou indirectement des intelligences jusque dans les régions officielles. Ce n’est un mystère pour personne que le ministre de la guerre, —