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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/954

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celui qui était encore il y a quelques jours ministre de la guerre, — était en connivence suivie avec les promoteurs des manifestations, et par une coïncidence singulière, cet étrange chef de l’armée s’est trouvé justement malade le jour où le gouvernement a dû aller recevoir le roi d’Espagne. C’est un fait avéré que, jusqu’à la dernière heure, les intentions de M. le président de la république lui-même ont été mises en doute dans son propre entourage, parmi ceux qui étaient censés le mieux connaître ses pensées secrètes. C’est un fait encore plus certain que, le jour de l’arrivée du roi d’Espagne, aucune mesure sérieuse n’avait été prise ; rien n’avait été prévu pour contenir ou dissiper les turbulens, pour épargner l’insulte à un jeune prince qui s’est confié à la courtoisie française. De telle façon que, si le pays s’est trouvé exposé à des complications aussi absurdes que périlleuses, si le gouvernement s’est vu réduit à présenter des excuses au roi d’Espagne, c’est sans doute en partie la faute de ces manifestans qui promettent un si aimable accueil aux princes de l’Europe, mais c’est assurément encore plus la faute de la politique qui n’a su rien prévoir ou qui, prévoyant tout, a laissé le scandale arriver.

Au dernier moment, il est vrai, en présence d’une aventure qui pouvait compromettre la France dans toutes ses relations comme dans sa considération, M. le président du conseil s’est aperçu de la gravité des choses ; il a paru comprendre qu’avec tout cela on allait à quelque effroyable crise, et, c’est une justice à lui rendre, il n’a point hésité à agir en chef de cabinet. En même temps qu’il s’efforçait de prévenir ou de dissiper tout malentendu avec l’Espagne, il a voulu remettre un peu d’ordre dans le gouvernement. Il n’a pas craint de marcher droit sur le ministre de la guerre, qui, par son attitude, par ses relations suspectes, par cette maladie si opportune qu’il a eue le jour de l’arrivée du roi d’Espagne, semblait se complaire dans une espèce d’indépendance, au risque de créer des difficultés au gouvernement dont il faisait partie. Les derniers incidens n’ont-ils été pour le chef du cabinet qu’une occasion de se débarrasser d’un collègue compromettant ou depuis longtemps importun? Toujours est-il que cette occasion, M. le président du conseil l’a saisie avec une dextérité hardie. Il a résolument exécuté M. le général Thibaudin en l’obligeant à donner sa démission ; il ne lui a pas laissé un jour de répit, et les malheureuses scènes de l’arrivée du roi d’Espagne ont eu du moins ce bon résultat de délivrer l’armée d’un chef qui, après être arrivé au pouvoir pour accomplir une iniquité à laquelle se refusaient ses compagnons d’armes, a semblé n’avoir d’autre préoccupation que de rester au ministère de la guerre avec l’appui et pour le bon plaisir du radicalisme.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que M. le général Thibaudin se prenait visiblement fort au sérieux et qu’il se croyait inexpugnable