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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/961

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d’éclaircir. Il y est d’autant plus intéressé que, s’il n’y a pas une prévention absolue contre cette entreprise on se dispersent nos forces, il y a du moins un grand doute sur la manière dont elle a été conduite.

Les questions, les diversions, les incidens n’ont jamais manqué et ne manquent certes pas aujourd’hui dans le monde. Ils ne manquent ni dans les régions lointaines, ni sur le continent européen, nichez les plus vieilles nations, ni chez les plus jeunes. Ils prennent toutes les formes et tous les caractères. Ils mettent en jeu tous les rapports des peuples, et, dans ce mouvement des relations universelles, ce qui vaut encore le mieux, c’est de chercher toujours ce qui peut rapprocher, non ce qui peut diviser des nations faites pour s’entendre. Quand survient une malheureuse affaire comme celle qui s’est s’élevée entre l’Espagne et la France, comment ne pas rappeler aussitôt tout ce qui fait des deux pays des alliés naturels, presque nécessaires? Lorsque entre la France et l’Angleterre il y a des nuages, des malentendus, des rivalités au sujet du Tonkin ou de Madagascar, tout cela est admissible sans doute entre de grandes nations indépendantes; ce n’est pas un motif pour qu’il y ait des mésintelligences invétérées là où il y a tant d’intérêts communs à défendre pour les deux pays. Quand l’Italie cède à ses ombrages, à sa mauvaise humeur contre la France jusqu’à se jeter à la poursuite de toutes les alliances comme si elle était menacée, elle a tort assurément, elle manque à sa vraie politique : il ne s’ensuit pas qu’on doive entrer en conflit, qu’il ne puisse y avoir un jour ou l’autre des rapprochemens utiles. Bien des Italiens sensés le croient et le disent eux-mêmes. Il a paru récemment dans cette Revue un article, — Italie et Levant, — librement pensé, écrit avec autant de feu que de compétence par un de nos chefs militaires, et cet article a provoqué en Italie une réponse, œuvre d’un homme également sérieux, qui est un officier distingué et est même, si nous ne nous trompons, au ministère de la marine à Rome. Ce n’est pas sur le dénombrement des forces navales respectives et sur des détails techniques qu’il faut insister ; ce qui vaut mieux, c’est le sentiment conciliant et amical qui a inspiré cette réponse italienne. L’auteur défend vivement son pays de toute pensée de jalousie et d’inimitié; il ne craint pas d’avouer ses sympathies pour la France et de rappeler « qu’on peut difficilement trouver deux peuples entre lesquels il y ait une telle communauté d’idées, d’affections et de sang. » Si tous les Italiens parlaient ainsi, bien des nuages se dissiperaient et les intérêts des deux pays ne s’en trouveraient que mieux.


CH. DE MAZADE.