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L’ALEXANDRINISME.

« Le cours du fleuve d’Assyrie est large, disait-il, mais il entraîne dans ses eaux beaucoup de boue et de débris. » Et il ajoutait à sa propre louange : « Les prêtresses n’apportent point à Cérès une onde puisée indifféremment partout, mais celle qui, pure et sans mélange, découle goutte à goutte d’une source sacrée et qui en est comme la fleur la plus exquise. » Cependant cette fleur si exquise n’était que celle d’une grâce tout extérieure, et ce filet d’eau, quelque pur qu’il fût, paraissait parfois bien mince. Les côtés faibles d’une poésie qui, de parti-pris, renonce à la grandeur, qui ne pénètre pas dans l’homme et s’arrête à la surface, n’ont pas échappé aux juges de l’antiquité. « Si tu ne veux pas te connaître, lis les Causes de Callimaque, » dit Martial en recommandant, au contraire, ses propres poèmes comme imprégnés de vérité humaine : hominem pagina nostra sapit. Eux-mêmes, les admirateurs et imitateurs latins du poète grec, Ovide et Properce, ne se faisaient pas illusion sur la valeur d’un génie auquel étaient interdits les grands sujets ; et chez les Grecs aussi, comme en témoignent des épigrammes, il s’élevait de vives réclamations contre ses prétentions et ses principes. « J’ai mes pièces à l’appui pour chaque mot de mes chants, » disait-il avec satisfaction. Mais était-ce encore chanter ? Et les savans ne pâlissaient-ils sur le texte d’Homère que pour se soustraire à sa grande influence et se proposer comme idéal en poésie l’exactitude de l’érudition ?

C’est ce qu’exprimaient sous une forme moins modérée les apostrophes que nous lisons dans l’Anthologie : « Allez à la male heure, engeance minutieuse des grammairiens, enfouie dans les recoins de la muse d’autrui, misérables teignes attachées à des vétilles,… meute maigre et hargneuse de Callimaque,… punaises qui dévorez dans l’ombre les poésies harmonieuses. » Parmi ces imprécations, la moins violente et la plus expressive d’idée et de mouvement est une épigramme par laquelle Antipater de Thessalonique répond aux vers de Callimaque sur ces gouttes d’une onde pure et sainte qu’il se vantait d’apporter au sanctuaire : « Loin d’ici, vous tous,… gracieux artisans d’une poésie énervée, qui buvez un filet d’eau à la source sacrée ! Aujourd’hui, c’est la fête d’Archiloque et du mâle Homère ; notre cratère n’admet pas les buveurs d’eau. »

Ces épigrammes sont du ier siècle siècle après Jésus-Christ. Elles prouvent que, trois cents ans après la mort de Callimaque, l’ardeur de la querelle n’était pas éteinte. Peut-être même l’âpreté des invectives s’était-elle accrue ; mais, de son vivant et dès le début, le mouvement de réaction contre ses doctrines eut une grande force, et son autorité fut impuissante à l’arrêter. Parmi ses jeunes contemporains, Euphorion, il est vrai, disait, à son exemple, l’inaccessible, c’est-à-dire l’inimitable Homère, et il écrivait les Chiliades, recueil