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le pied gauche seul est chaussé. La coiffure, très singulière, est un crabe. Une des mains tient un silex, le couteau sans doute du sacrificateur ; l’autre saisit la tête de la victime qu’il vient d’égorger. Sur le second plan, deux acolytes portent aussi des têtes humaines; un de ces acolytes est un squelette, sinistre représentant de la mort; la forme de sa tête est simienne; le grotesque se mêle au terrible. Il serait facile de multiplier de semblables faits ; ils entraîneraient de fastidieuses répétitions, et nous avons hâte d’arriver à des découvertes plus récentes; nous nous contenterons donc d’ajouter que, toujours les figures sont grimaçantes et d’une laideur repoussante. Les vieilles races américaines ne recherchaient pas le beau, ou plutôt elles ne le comprenaient pas comme nous, formés que nous sommes par les immortels créateurs du grand art en Grèce.

Ce qui surprend à juste titre, c’est le travail nécessaire à ces sculptures, à ces gravures, quand on songe aux faibles moyens mécaniques que ces hommes avaient à leur disposition. Il fallait détacher[1] des blocs de pierre dure, en employant de misérables outils en quartzite ou en obsidienne, scier le granit ou le porphyre avec du fil d’agave et de l’émeri. Un dessin grossier du contour indiquait la partie de l’épaisseur à enlever ; on exécutait le travail soit par le sciage d’une certaine portion que l’on éclatait ensuite habilement, soit par le martellement avec une pointe de silex; enfin, à l’aide de pierres plates ou de polissoirs, on frottait la surface des plans, de manière à enlever toute trace des éclatemens. D’autres procédés paraissent aussi avoir été employés; l’artiste traçait à grands traits les figures qu’il prétendait imiter, puis il couvrait de cendres les lignes destinées à rester en relief. On chauffait à l’aide d’un feu ardent toute la surface ; les parties qui étaient directement soumises à l’action des flammes se décomposaient et produisaient des creux, tandis que celles garanties par la cendre restaient intactes[2]. Pour achever son travail, le sculpteur n’avait plus qu’à se servir soit d’une pointe de silex, soit d’un ciseau en cuivre[3], les seuls outils à son usage, car le fer était inconnu ; il lui fallait avec eux creuser un roc

  1. Ces détails sont empruntés à un excellent travail publié par M. E. Soldi, les Arts méconnus. Paris, 1881, Leroux.
  2. M. Wiener a vu, dans la vallée du Chicama de Sausal, creuser un canal d’irrigation à travers un rocher qui faisait obstacle. Les ouvriers indigènes mirent une couche épaisse de cendres sur les bords du tracé du canal, ils le couvrirent de taquia (excrémens séchés de vaches) et l’allumèrent. Au bout de huit jours, ils avaient obtenu par ce procédé un sillon de 1m,20 de large sur 0m,80 de profondeur et 2m,30 de longueur, dans une pierre granitique à veine de basalte. (Soldi, l. c.)
  3. Il a été trouvé, auprès de Quito, un ciseau qui avait été employé à travailler les larges dalles de trachyte servant à paver les routes dans l’empire des Incas. Ce ciseau pesait 198 grammes; la surface était fruste, le tranchant ébréché, la tête refoulée comme par le choc d’un marteau. Tout indiquait un long usage. L’analyse d’un fragment, faite par M. Damour, a donné quatre-vingt-quinze partie de cuivre, un peu plus de quatre parties d’étain, quelques faibles traces de fer, de plomb et d’argent.