Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, depuis si longtemps, s’attachait à Jean Roquelin, finit par l’atteindre lui-même.

Dès le surlendemain de son aventure nocturne, il ébahit une centaine de gamins effrontés en leur ordonnant de cesser leurs grossières clameurs contre Jean Roquelin. Celui-ci, qui venait de s’arrêter en jurant et en secouant sa canne, le regarda aussi d’un air stupéfait, puis il salua et poursuivit son chemin. Presque tous les garnemens avaient renoncé, par pur étonnement, à lui donner la chasse ; seul, un petit Irlandais, plus agressif, lança de loin une grosse motte de terre durcie qui frappa le vieillard entre les deux épaules et se rompit en deux comme une coquille. Roquelin, furieux, s’était retourné, la canne levée pour répondre à son agresseur; mais fit-il un faux pas, fut-ce pour quelque autre cause, il tomba au moment même tout de son long. White voulut l’aider à se relever, il le repoussa durement avec une imprécation farouche, et, en trébuchant, continua de marcher vers sa demeure. Ses lèvres étaient rougies de sang.

C’était jour de conseil. Le petit secrétaire eût donné tout l’argent dont il pouvait disposer pour éviter d’y assister, se sentant hors d’état, ému, exaspéré à la fois comme il l’était, de supporter certains reproches qui, sans doute, allaient lui être adressés.

— Je n’y puis rien, messieurs ; je ne vous aiderai jamais à porter une accusation contre ce vieillard.

— Nous ne nous attendions pas à un pareil désappointement, monsieur White.

— Croyez-moi, messieurs, vous ferez bien de ne pas donner suite à vos investigations. Il n’en peut résulter que des malheurs. Quelqu’un s’en repentira… Non, messieurs, ce n’est pas une menace, c’est un conseil seulement ; je vous avertis que quiconque se chargera de cette besogne en aura regret jusqu’à son dernier jour, — qui se trouvera peut-être précipité, soit dit par parenthèse.

Le président se déclara fort surpris.

— Je m’en soucie comme d’une paille, dit le petit White, qui, décidément, perdait la tête. Non, mes nerfs ne sont pas sens dessus dessous, et mon cerveau est clair comme une cloche… Non, je ne suis pas excité…

L’un des membres fit observer que le secrétaire avait l’air de s’éveiller d’un cauchemar.

— Eh bien ! monsieur, si vous voulez le savoir, c’est ce qui m’arrive en effet, et vous pourrez avoir le cauchemar à votre tour pour peu que vous cultiviez la société du vieux Roquelin.

— White ?.. dit un loustic.

Le secrétaire ne répondit rien.