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d’être empoisonné par l’acide prussique, mais cette capacité n’est pas un fait actuel qui fasse partie de mon corps d’une manière constante, sans que je le perçoive. « Ce sont là des états futurs possibles, non pas des états présens et réels. » Stuart Mill, ici, ne distingue pas assez les possibilités dont les conditions nous sont tout à fait étrangères d’avec celles dont nous avons la condition en nous-mêmes ou dans notre cerveau. Cette distinction, d’ailleurs, n’est pas absolue, et il demeure vrai de dire que les conditions du souvenir et toutes les prétendues puissances latentes dont parle Hamilton sont de simples conditions organiques, un mécanisme plus ou moins prêt à fonctionner. Nous n’avons pas plus conscience de cet organisme que de ce qui se passe dans notre cœur ou dans certaines parties insensibles de notre estomac. Ici encore l’inconscient n’est que l’organique et le mécanique.

Hamilton applique sa théorie de la mémoire à l’association des idées. Tout à l’heure je voulais me rappeler un nom sans y parvenir, et maintenant, sans que je sache pourquoi, je me le rappelle. Hamilton en veut conclure qu’il y a eu en moi des séries d’idées ou d’actes dont je n’ai eu aucune conscience. En réalité, c’est dans mes organes que s’est produit le changement favorable. Un homme qui, voulant sortir, a trouvé tout à l’heure la porte fermée, la trouve maintenant ouverte, en conclut-il pour cela qu’il y ait eu un changement en lui-même ? Non, mais seulement dans les conditions extérieures. De même, pour me rappeler un nom, c’est-à-dire une sensation de son, je suis obligé d’imprimer un certain mouvement à mon cerveau, d’ouvrir la porte à un courant nerveux ; le changement qui rend maintenant facile le souvenir est un changement tout organique et automatique. C’est la cérébration inconsciente des physiologistes. Nos actions mentales subissent leurs conditions matérielles. La même impulsion volontaire donnée au mécanisme n’a pas toujours le même succès. Nous sommes obligés d’attendre que l’effet voulu se produise. Parfois il a lieu, parfois il n’a pas lieu, pour des raisons qui nous sont étrangères. Hamilton, dans un passage célèbre, compare très ingénieusement la suggestion des idées dans le souvenir au mouvement qui se transmet à travers des billes : « Les idées intermédiaires dont nous n’avons pas conscience, mais qui effectuent la suggestion, ressemblent, dit-il, aux billes intermédiaires qui restent immobiles tout en transmettant le mouvement. » Mais, dans bien des cas, les intermédiaires sont purement physiologiques, non psychiques et intellectuels. L’impulsion volontaire partie de la conscience doit nous revenir sous la forme de sensation après un trajet circulaire : nous frappons la première bille et nous attendons que la dernière