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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/199

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la coulisse. J’ai vu le temps où l’Opéra-Comique se contentait de deux premiers sujets; on avait alors en tête de sa troupe la forte chanteuse et la chanteuse légère, et cela suffisait pour faire marcher le répertoire et pour monter les opéras nouveaux. Aujourd’hui, il en va tout autrement, c’est dans l’ordre. Pourquoi des cantatrices de répertoire quand il n’y a plus de répertoire ? Nos musiciens ne composent plus comme ceux d’autrefois en vue d’un théâtre spécial et d’une troupe régulière jouant et chantant à tout venant. On ne compose plus des opéras, on fait des types, c’est-à-dire des créations ayant besoin pour réussir de rencontrer chez l’interprète un certain assemblage particulier de qualités, de défauts et de tics qui réponde à l’idéal fortuit d’un auteur. Mignon, Lakmé, Hérodiade, sont bien moins des rôles que des types, et Manon aussi, je le suppose, rien qu’à voir les enquêtes nombreuses auxquelles a donné lieu la distribution du nouvel ouvrage de Massenet. Quand on a pu parler de Mlle Granier pour créer Manon, c’est qu’il y avait là une question de type dominant la question musicale. A défaut de Mlle Granier, on a pris à Mlle Heilbronn; je souhaite que le choix réussisse, bien que j’aie quelque peine à m’expliquer ce que l’on y gagnera.

Combien de fois n’avons-nous pas dit à cette place que le Théâtre-Lyrique, objet de tant de vœux et de labeur, se ferait tout seul? Pendant que le conseil municipal y pensait toujours et n’aboutissait point, un directeur aventureux l’aura trouvé sans y penser. Vous vous souvenez des premiers tâtonnemens au cours de la saison d’été. Il semblait qu’il n’y eût sujet que d’en rire; peu à peu la situation s’est amendée. Après la fameuse déconvenue de Norma, on a vu par degrés le sérieux succéder au folâtre; les recettes de Si j’étais roi, l’exécution du Trouvère et de Lucie ont remué les sympathies, et maintenant, au lendemain d’une clôture de recueillement en vue de la campagne d’hiver, voici que cela devient tout à fait digne d’intérêt. Le choix de l’ouvrage était déjà d’un heureux pronostic. N’oublions pas que Roland à Roncevaux est un des plus grands succès de l’Opéra et que les cinquante premières représentations ont produit les plus fortes recettes inscrites sur les registres du théâtre. Le sujet, en outre, est héroïque et national; poème et musique ne respirent que chevalerie, amour et patriotisme; quoi de mieux approprié à la circonstance? Aussi l’entrain a commencé dès l’ouverture, page vigoureuse qu’une foudroyante exécution est venue mettre en lumière pour la première fois : précision dans les mouvemens, justesse dans l’attaque, soin du détail, nuance, résonance, bravoure à tout enlever; cet orchestre, du coup, marque sa place au premier rang, et le jeune chef qui l’a formé, M. Lévy, mérite déjà qu’on le nomme entre Lamoureux et Colonne.

Il allait entrer à l’Éden-Théâtre, quand le Théâtre-Lyrique populaire,