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fort habilement, se l’est attaché. Le temps pressait; c’était l’été, aucun personnel sous la main. Il quitta Paris et parcourut l’une après l’autre les villes d’eau, que peuplent d’ordinaire à cette époque les premiers et les seconds prix du Conservatoire. C’est en écrémant les orchestres des divers casinos qu’il a fait le sien ; prompte et vaillante compagnie toute brillante de jeunesse, à qui la main du maître a su, d’emblée, imprimer la cohésion. A partir de ce début, le succès s’est toujours accru, et l’auteur a pu voir, à dix-huit ans de distance, les mêmes morceaux produire le même enthousiasme. Allez donc contre de pareils faits, protestez, criez. Eh bien! après? Faisons la part entière aux ennemis; convenons avec eux que Mermet ignore jusqu’aux rudimens de son art, nions ses longues années d’études chez Lesueur, ses stages obstinés chez Barbereau, qu’est-ce que tout cela prouvera? Nos colères empêcheront-elles son Roland d’avoir réussi, il y a dix-huit ans, à l’Opéra, et de triompher aujourd’hui sur une scène populaire où ne prévaut assurément aucune des raisons extra-musicales auxquelles les bons confrères d’autrefois s’étaient complu à rapporter la fortune de l’ouvrage, car on nous avouera qu’ici l’allusion n’existe plus, et que le public du Château-d’Eau n’en est plus à s’occuper des rapprochemens qui se peuvent établir entre Roland, neveu de Charlemagne, et Napoléon III, neveu du grand empereur? Soyons francs, ce succès a sa raison d’être dans le mérite du poème et de la musique ; dû à de simples motifs de circonstances, il n’eût pas survécu; si nous le voyons s’affirmer à nouveau en dépit des années et des influences, c’est qu’il y a dans l’œuvre de M. Mermet une puissance très réelle. « Musique de corps de garde ! » s’écriaient les rieurs d’antan. — « Musique de faubourg! » disent les plaisans d’aujourd’hui, insistant sur les défauts et fermant les yeux sur les qualités, qui sont une grande loyauté d’émotion et l’effort continu vers la hauteur. À ce double objectif M. Mermet n’aura au moins jamais failli, ses succès comme ses défaites nous le montrent. Il aime les nobles équipées, les chansons de geste : Roland à Roncevaux et Jeanne d’Arc, heureux pourvu que son patriotisme ait à s’espacer : on n’est pas pour rien le fils d’un général inscrit sur l’arc de triomphe de l’Étoile, et les Marseillaises ne se font pas avec du contrepoint. La franchise d’un rythme guerrier appelle les sonorités bruyantes, et quand M. Gounod, dans le Tribut de Zamora, pousse au combat « les enfans de l’Ibérie, » il s’y prend comme M. Mermet, avec cette différence que la phrase est bien moins trouvée. D’ailleurs à ces résonances cuivrées, à ces vulgarités de style qui sont la conséquence du sujet, l’auteur sait opposer des correctifs; la superbe invocation aux Pyrénées, où passe comme un souffle venu de Guillaume Tell, rachèterait en pareil cas bien des péchés, et le trio du troisième acte entre Roland, Alde et l’archevêque Turpin est un modèle d’inspiration pathétique. Mermet