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pas trop beau pour être vrai ? Pareille spontanéité dans une création ne s’est jamais vue. Admirez comme tout s’y arrange à souhait pour le coup de théâtre, le tableau. L’espace d’une nuit suffit à Rouget de l’Isle : paroles et musique sortent d’un seul jet ; mieux encore, il écrit séance tenante la partition et les parties, et la prochaine aurore lui fournit à point nommé un corps de musique pour exécuter l’œuvre de la nuit et quatre cents volontaires pour la porter ensuite aux quatre coins de la France. C’est du Tyrtée cela ; on assiste à la formation d’une légende hellénique : aussi voyons-nous que, depuis, la discussion n’a pas désarmé. On critique, on conteste : les uns, patriotiquement, affirment le dogme de la création spontanée ; les autres nient ou documentent, et, finalement, il arrive à la Marseillaise d’être controversée comme un miracle.

L’auteur de ces Études, M. Wilhelm Tappert, musicien d’une érudition très sérieuse, aurait en outre tout ce qu’il faut pour être un excellent humoriste. Ses « Mélodies voyageuses » sont une invention originale, mais j’avoue que son chapitre intitulé « Zooplastique » me paraît encore plus amusant. Traitant du pittoresque en musique, l’écrivain, — toujours à l’aide de citations chiffrées, — nous initie aux divers procédés qu’emploient les maîtres pour rendre tantôt le rugissement du lion, tantôt le grognement de l’ours, tantôt le chant du rossignol, tantôt celui du pinson ou le trille de l’alouette, tantôt le gloussement de l’oie ou le coassement de la grenouille. Sur le rossignol les renseignemens, comme on pense, ne manquent pas ; il y en aura toute une bibliothèque avec des commentaires parfois pleins de grâce amenant le texte musical. « Aux alentours, la nuit silencieuse, la lune argentée au firmament ; auprès de soi, la bien-aimée, et le rossignol dans le bocage. Heureux celui de nous qui voit s’étendre au-dessus des misères du réel ce doux voile de poésie ! » Le chant du rossignol a cela de particulier qu’il défie toute espèce de transcription. On le perçoit, on s’y laisse ravir, impossible d’en rien noter : point d’intervalles, point de rythme, comme dans le chant de la caille et du coucou. Les musiciens ne se comptent pas qui se sont usés, pendant trois cents ans, à la recherche d’un mode de transcription : c’est la pierre philosophale. Le docteur Justin Kerner, grand aliéniste et grand poète, me fit jadis connaître un original que cette manie avait rendu fou. C’était un maître d’école de Gaildorf, en Wurtemberg ; on le rencontrait dans les bois, un cahier de papier réglé à la main, épiant de l’oreille, griffonnant comme sous une dictée mystérieuse, et tout aussitôt raturant. M. Tappert nous entretient à ce sujet d’un ouvrage du XVIe siècle intitulé Chant des oiseaux ; (Anvers, 1545), et renfermant de curieux spécimens de cette idée fixe. Convaincu de son impuissance finale, l’auteur a recours aux onomatopées les plus