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très basse, et on n’y découvre aucun amer. L’entrée trouvée, il reste encore à éviter les bancs qui obstruent l’embouchure et en rendent l’accès fort périlleux. Aussi les pêcheurs indigènes du roi, qui se tiennent d’ordinaire à l’entrée de la baie, ont-ils coutume de se porter au-devant des navires attendus jusqu’à la Syrastrène. Ces pêcheurs montent de longues barques appelées, dans la langue du pays, des trappagas et des cotymbas. Ce sont eux, — sorte de pilotes jurés, — qui se chargent de conduire les vaisseaux étrangers à Barygaza. Leurs barques savent trouver le droit chemin au milieu des bancs et traîner au besoin de mouillage en mouillage les bâtimens qu’elles ont pris à la remorque. Elles appareillent à la marée montante; quand survient le jusant, elles vont jeter l’ancre dans certains replis de la côte où le fond est plus grand et où elles n’ont pas à craindre de demeurer échouées à la marée basse. Barygaza se trouve à 30 milles environ de la bouche du fleuve.

Je n’ai point heureusement à chercher l’emplacement de Barygaza; le savant Müller, s’aidant des travaux de Forbes et de Ritter, m’a épargné ce soin : grâces lui en soient rendues ! « Il se trouve aujourd’hui, dit Müller, aux lieux où s’élevait jadis Barygaza, une ville nommée Baroach. Baignant le côté méridional de cette ville, la Nerbudda présente si peu de profondeur que, sans le secours de la marée montante et du veut de sud-ouest, les petits navires eux-mêmes ne pourraient monter jusqu’à Baroach. Ceux qui ont plus de tirant d’eau ne sauraient réussir, même au moment du plein, à franchir la barre qui obstrue l’entrée du fleuve. Le rivage est très bas et tout à fait dépouillé d’arbres. A-t-on passé la barre, l’intérieur du golfe offre une navigation bien plus difficile encore à cause des amas de sable qui s’y sont accumulés. Il n’y a que de très petits bâtimens, appelés crofts, que prennent à la remorque des barques très légères nommées des gullivats, auxquels l’intérieur de la baie soit accessible.» — « Les marins qui ne connaissent pas ces parages, écrit à son tour l’auteur du Périple, et qui viennent aborder pour la première fois au comptoir de Barygaza, courent de grands risques tant à l’entrée qu’à la sortie. Rien ne peut arrêter l’impétuosité du flot qui monte ou qui descend; les ancres ne résistent pas. Les navires, jetés alors en travers, sont entraînés par la violence de la marée sur les bancs; les vaisseaux de petites dimensions chavirent même quelquefois; ceux qui restent échoués avec le jusant s’inclinent sur le côté : si l’on ne prend soin de les accorer, ils se remplissent et sont submergés quand le flot revient. La force de la marée, surtout de la marée montante, est telle dans les syzygies, qu’au moment du flot, par la mer la plus calme, les riverains de l’embouchure entendent d’abord un bruit semblable à celui que produiraient les clameurs lointaines d’une armée; puis bientôt le