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psychologie. — Examinons d’abord ce que les sciences naturelles et historiques nous apprennent sur le milieu où l’art peut vivre.

L’art, pour arriver à son plein développement, exige autour de l’artiste comme chez l’artiste même un culte de la beauté dont le peuple grec nous a donné l’exemple. Les Grecs, — M. Taine aime à le répéter, — avaient pour la pureté de la forme, pour la proportion harmonieuse des membres, pour les belles nudités un amour poussa jusqu’à l’adoration ; la beauté offrait à leurs yeux un caractère sacré, et Sophocle, encore éphèbe, avant de chanter en public un hymne aux dieux de la Grèce vainqueurs à Salamine, jetait bas ses vêtemens devant l’autel. Ce culte de la beauté se retrouve à la renaissance, au moment de la grande éclosion de tous les arts en Italie : un membre, un muscle, une omoplate suffisait pour transporter de plaisir ces générations d’artistes[1]. De nos jours, au contraire, la force et la beauté du corps ne sont plus notre idéal. Tout semble montrer d’ailleurs que la préoccupation trop exclusive des belles formes, et aussi des ornemens, des parures, est le signe auquel on reconnaît les peuples primitifs. Chez ceux des peuples modernes qui sont encore à un degré inférieur de civilisation, comme les Arabes, par exemple, le sexe masculin lui-même montre une grande coquetterie; il cherche à plaire surtout par sa force et sa beauté physiques, par ses vêtemens et sa parure. La civilisation détruit graduellement ces instincts primitifs, qui ont été pourtant, selon MM. Darwin et Spencer, le germe même de l’art. L’homme de nos jours ne se soucie plus guère, sous les vêtemens commodes et disgracieux qui le cachent, d’avoir un torse bien proportionné, des muscles vigoureux. La coquetterie, que M. Renan appelle « le plus charmant de tous les arts, » subsiste sans doute et subsistera longtemps encore chez la femme, mais elle tend souvent à dévier de son but, qui est de faire ressortir la beauté des membres : on a peur de montrer même ses mains! Les femmes, qui devraient plus que d’autres tenir à conserver des formes pures et correctes, entravent de mille manières le développement de leur corps et la circulation de leur sang. Aussi n’est-ce pas seulement le culte antique de la beauté, mais la beauté même qui, selon certaines inductions physiologiques, semble aujourd’hui en décadence; de telle sorte que le principal objet des arts tendrait à disparaître. « La beauté, dit M. Renan, disparaîtra presque à l’avènement de la science. »

  1. Benvenuto Cellini s’enthousiasme pour ces reliefs ou ces creux que forment les cinq fausses côtes autour du nombril quand le corps se penche en avant ou en arrière : « Tu auras du plaisir à dessiner les vertèbres, ajoute-t-il, car elles sont magnifiques; tu dessineras alors l’os qui est placé entre les deux hanches, il est très beau. »