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dans certaines restrictions, qu’il ait vis-à-vis des siens certaines exigences, qu’importe au plaideur si, en réalité, dans cette compagnie, dans cette association, comme on voudra l’appeler, il est sûr de rencontrer ce qu’il cherche, des hommes honnêtes, d’une capacité rassurante et de bon aloi? Et puis, avant de critiquer les choses, il conviendrait de s’entendre sur les mots : ceux de privilège, de monopole, de corporation fermée ont le don d’exaspérer les idées modernes, et cela se conçoit, puisqu’ils rappellent, avec des institutions tombées, autant de blessures faites à l’intérêt général, au droit commun, sans profit pour personne, si ce n’est pour ceux qui étaient appelés à jouir de la dérogation. Toutes les fois que ce qui appartient à tous est exclusivement dévolu à un seul ou à quelques-uns, cet empiétement sur le droit universel met en révolte les sentimens d’équité qui s’imposent à la conscience comme des règles sociales, et soulève des plaintes légitimes. Est-ce bien de cela qu’il s’agit? Y a-t-il véritablement privilège là où la nécessité a fait naître la mission déléguée? Tous les philosophes, tous les publicistes ont placé la défense dans les droits naturels de l’homme. Mais cette défense, permise à tous, peut rarement s’exercer par la partie elle-même. De là le secours qui vient se placer à côté du plaideur et lui fait trouver un autre lui-même. Le barreau commence juste à ce point où la défense d’autrui devient nécessaire. Il est difficile d’imaginer un état assez primitif pour que la défense des intérêts individuels y soit nulle ; mais ce qui se comprend sans peine, c’est que, dès que ces intérêts seront menacés, celui qui aura à défendre son champ, sa réputation, sa personne, songera aussitôt à celui qui, à sa place, pourra le faire avec le plus d’utilité. Ce sera d’abord le plus habile, le plus entendu ; mais cela ne suffira pas ; il faudra que cet intermédiaire soit aussi le plus considéré. Le juge ne donne pas foi à celui qui peut le tromper dans ses allégations et ses preuves. Il n’est pris qu’une fois aux paroles mensongères, et la cause sera gravement compromise s’il peut se défier de celui qui la présente. De là deux conditions essentielles, de premier ordre pour la défense d’autrui : le savoir et l’honnêteté. C’est pour répondre à ces deux conditions que le barreau s’est formé en tout pays. Offrir à la défense des intérêts de chacun les hommes les plus dévoués, les plus capables et les plus honnêtes, tel est son objet. Sorte d’institution municipale créée par la nécessité, on la voit s’établir sans qu’une loi soit venue lui donner l’existence. C’est là, comme on le sait, ce qui a toujours différencié des corporations les communes, qui existent par elles-mêmes en vertu de la nécessité; c’est là aussi ce qui a toujours établi une démarcation fondamentale entre les corporations et le barreau. Son histoire n’est guère que celle du perfectionnement successif des moyens à