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Après le bruit qui s’est fait, il nous a semblé qu’il n’était point inutile de ramener les choses à la vérité et d’apporter les textes. On peut voir que le barreau ne tient rien du privilège, qu’il doit son indépendance à des règlemens sévères, qu’il n’existe et n’a été créé que pour la liberté bien entendue de tous sous les divers régimes, à travers les commotions sociales, et qu’il n’a ni prétention ni droit à l’impunité. Il n’y a point ici d’éloges à faire; il n’y avait que des préventions à dissiper, car il est dans la destinée du barreau, après avoir défendu les autres, d’avoir aussi à se défendre. Sous l’empire, c’était le ministère public qui entendait le dominer en lui opposant l’intérêt prépondérant de la société. Berryer serait de la partie et elle fut gagnée, du moins dans l’opinion publique. La presse, si étroitement liée par sa nature à la défense, lui donnait alors son appui. Se tournerait-elle contre lui sous ce régime? Nous n’y verrions qu’un malentendu regrettable, mais passager. Le barreau français se défend d’ailleurs par sa propre histoire et son attitude franchement libérale dans tous les temps. On est autorisé à dire de lui ce que disait encore John Russell du barreau anglais : « Dans le camp de la liberté, nous pouvons enregistrer une série de noms brillans qui commencent dès l’origine de notre constitution et continueront, je l’espère, jusqu’à la fin. » Par un élan aussi généreux qu’irréfléchi, l’assemblée constituante se prit à croire qu’il trouverait plus de forces dans l’anéantissement de ses traditions, de ses garanties séculaires, et elle le laissa tomber à l’heure où, devant les tribunaux civils appelés à appliquer les lois nouvelles, devant les tribunaux criminels où tant d’existences furent en péril, sa présence était le plus nécessaire. Vingt années ne suffirent point à lui rendre ses franchises. Mais, reconstitué, il est devenu à l’étranger comme le type de réglementations dans lesquelles les devoirs de la défense n’ont point été oubliés. Qu’on ne dise donc pas qu’il peut être une institution oppressive, le démenti serait trop facile à donner, puisque les magistrats, les parties et les tiers sont armés contre lui, puisqu’il n’est pas une réparation pénale ou civile qui ne puisse lui être demandée et ne soit offerte par les lois qui, tout en le voulant libre, l’ont fait responsable.


JULES LE BERQUIER.