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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/455

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impose sa fantaisie avec douceur, grâce au fini de son exécution et à je ne sais quelle note personnelle qui ajoute un charme de plus à toutes ses conceptions. M. Henner est, si l’on peut dire, un oseur timide et triomphant. Il a, à l’Exposition nationale, une Religieuse en prière qui restera comme un des morceaux les plus achevés, les plus délicats, les plus nouveaux de sa manière. Qui donc osait dire que, depuis tantôt quinze ans, M. Henner nous montrait avec persistance une Madeleine aux cheveux roux, au corps lisse et souple, pleine de blancheurs nacrées, étendue sous un ciel bleu clair, dans un paysage presque noir, et que c’était toujours un peu la même Madeleine que le peintre appelait quelquefois « Nymphe » et d’autres fois « Joseph Barra? » L’œuvre était toujours, on voulait bien le reconnaître, d’un sentiment si profond, le dessin toujours si vivant, la couleur toujours si gracieuse et si vigoureuse, que le public ne se lassait pas. Il ne demandait au maître ni une autre femme, ni un autre sujet, et, en y réfléchissant, on donnait raison au public. Mais M. Henner s’est renouvelé cette fois, et, avec la souplesse d’un véritable maître, il présente son talent sous des aspects nouveaux et impose l’admiration à la médisance elle-même. M. Henner est représenté à l’exposition nationale par six œuvres.

Comme M. Meissonier, M. Hébert a envoyé sept tableaux; M. Cabanel expose dix toiles. Ces peintres sont d’anciens prix de Rome, ils sont arrivés tous trois à une notoriété très grande et très légitime; ils ont tous trois contribué, par des envois considérables, au succès de l’Exposition nationale : il convenait de s’arrêter devant leurs œuvres.

M. Cabanel passe, à tort ou à raison, pour le chef de l’école classique; disons-le avec la franchise qui convient envers un artiste de cette valeur et qui est encore une des formes du respect, ses tableaux ne nous passionnent pas. Heureusement M. Cabanel, pour la gloire de notre école, se retrouve dans le portrait. Il en expose sept qui sont des chefs-d’œuvre. Il est impossible de voir en ce genre rien de plus complet et de plus parfait que ses envois de cette année. Que de tableaux moins heureux peut faire oublier un portrait comme celui de Mlle M..! C’est la nature prise sur le vif, avec je ne sais quelle élégance particulière, quel charme dans le modelé, quelle finesse savoureuse dans l’étude de la figure, quelle grâce exquise dans les moindres détails. De pareils portraits valent un long poème, et si M. Cabanel a favorisé l’Exposition nationale par ses envois excellens, l’Exposition nationale lui a rendu, en échange, un des succès les plus francs de sa glorieuse carrière.

M. Hébert, qui est également un peintre de portraits remarquable,