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légère a porté. MM. Meilhac et Halévy sont des moralistes, dont la sagesse a ses voies : la Petite Marquise, cette farce, restera comme un document exquis de la morale au théâtre dans la seconde moitié du XIXe siècle.

C’est un spectacle à ravir le puritain que celui de la campagne menée contre l’adultère, depuis une trentaine d’années, par les littérateurs de France : même ils y brûlent tant de poudre que l’étranger croit le monstre encore plus redoutable qu’il n’est. Sainte-Beuve, en ses Cahiers, a raillé gaîment ce tapage : « Nos auteurs dramatiques, dit-il, et nos romanciers sont uniques… Dès qu’il s’agit, dans leurs inventions littéraires, d’un adultère, cela devient une affaire de tous les diables et comme si le cas était pendable au premier chef.. ; ils oublient qu’il n’y a rien qui, dans le train ordinaire de la vie, tire moins à conséquence. » Je n’examine pas si Sainte-Beuve, en sa désinvolture de vieux garçon, ne juge pas de la chose un peu trop à son aise ; le fait est qu’il en parle à la gauloise et sur l’ancien ton, et que ce ton jure étrangement avec celui des contemporains.

Sganarelle, autrefois, montrait cette insouciance ; George Dandin, moins résigné, n’était pas moins ridicule ; Clitandre était charmant. Ce fut le sort du mari, sous l’ancien régime, d’être comique : à l’amant appartenaient toutes les bonnes grâces de l’auteur. Il prit encore du bon temps, l’heureux personnage, pendant la première moitié de ce siècle, au moins pendant ce deuxième quart où la littérature fleurit avec un si prodigieux éclat ; il fut non-seulement aimable, mais héroïque, non-seulement aimé, mais admiré ; il triompha sur la scène et dans le livre, chez Victor Hugo et chez George Sand. Cependant, son incommode rival était non plus seulement bafoué, mais maudit il n’encourait plus seulement la raillerie, mais l’aversion du public. Le mieux que pût faire le mari, en ces temps difficiles, était de s’excuser en s’immolant de lui-même, comme Jacques, pour la plus grande gloire de l’amant. Et, d’autre part, en sourdine, la gaîté nationale gardait ses droits : « Les maris me font toujours rire, » murmurait Gavarni.

Pourtant, si quelqu’un de ces pauvres diables eut le courage de durer et de supporter l’orage, il vit bientôt des jours meilleurs. Le soleil de Gabrielle se leva, et, dès que M. Augier eut rendu courage aux maris, M. Dumas survint pour les armer en guerre ; Flaubert, dans le roman, justifia ces représailles. Des jurisconsultes, au théâtre, déclarèrent que le mariage, depuis la révolution française, et de par le code civil, était une institution sérieuse ; des physiologistes, dans le roman, curieux de rabaisser la passion autant que le romantisme l’avait exaltée, en publièrent les vilenies. Le comte de Lys, M. de Terremonde et Claude s’avisèrent qu’au lieu de se tuer, comme Jacques, ils feraient mieux de tuer l’amant de leur femme ou bien elle-même ; et ces meurtriers furent absous par le public, tout comme par un jury Les victimes,