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garde des sceaux î’ait voulu ou qu’il ne l’ait pas voulu, il a fait ce qu’il a pu pour diminuer cette importance et ce prestige ; il l’a fait tout juste au moment où l’on aurait cru qu’il devait se préoccuper de montrer que rien n’était changé dans les traditions judiciaires par cette violente et cruelle épreuve de l’épuration à outrance à laquelle la magistrature française vient d’être soumise : il a pris un singulier moyen pour recommander ses nouveaux magistrats en les introduisant dans ses prétoires.

Et voyez comment les mauvaises inspirations, les actes équivoques ont toujours des conséquences imprévues ! On n’a cessé de répéter que par la prétendue réformejudiciaire récemment accomplie, par cette vaste entreprise d’épuration, on se proposait surtout de bannir la politique des affaires de la justice. La première conséquence de la mesure par laquelle M. le garde des sceaux a voulu inaugurer le règne de sa magistrature nouvelle a été, au contraire, de ramener dans le domaine de la justice la politique avec ce qu’elle a de plus criant et de plus anarchique. Que s’est-il passé, en effet ? Les cours et les tribunaux ont usé de la faculté qu’on leur laissait de maintenir ou de supprimer cette malheureuse messe du Saint-Esprit ; les uns l’ont maintenue, les autres l’ont supprimée sans façon. La cour de cassation et la cour d’appel de Paris ont donné l’exemple de la fidélité à l’ancienne tradition ; quelques cours, plus complètement épurées sans doute ou plus jalouses de répondre aux vœux secrets de la chancellerie, se sont dispensées de respecter le vieil usage. Bien mieux, il y a des villes, même des villes importantes, où le tribunal a repris ses travaux sans aucune cérémonie religieuse et où les avocats se sont rendus en corps à une messe du Saint-Esprit demandée par eux. De sorte qu’au lieu de rétablir la paix, comme on le prétendait, on a ravivé la guerre, les divisions. On n’a pas banni des prétoires les passions politiques, on y a fait entrer avec éclat les passions religieuses. Le monde judiciaire s’est trouvé brusquement, ostensiblement partagé en deux camps, le camp de ceux qui ont assisté à la messe du Saint-Esprit et le camp de ceux qui n’y ont pas assisté. Va-t-on maintenant recommencer l’épuration à l’égard des cours et des tribunaux suspects de cléricalisme pour être allés à la messe ? Voilà le beau résultat qu’on a préparé, et tout cela sans raison sérieuse, sans nécessité pressante, uniquement pour avoir l’air de ne pas discontinuer la guerre aux influences cléricales, pour complaire à quelque radicaux incessamment occupés à effacer jusqu’au dernier vestige du passé ou des traditions religieuses dans les institutions ! M. Martin-Feuillée peut se flatter d’avoir fait une brillante campagne avec sa circulaire, et surtout d’avoir merveilleusement inauguré le règne de la magistrature née des décrets d’épuration.

Le malheur est fque gouvernement et républicains plus ou moins