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inutiles à la charge du chef de famille sont plus nombreuses que parmi les salariés. La conclusion qui ressort de tout cela, c’est que, dans l’état actuel de la société française, il y a exceptionnellement, aux deux extrémités, des opulences choquantes et des misères invraisemblables, quoique trop réelles, mais que, dans la généralité, les classes se rapprochent et les ressources pour l’existence tendent de plus en plus à s’équilibrer.

Il a été dit que le chiffre du revenu collectif, autrement dit la somme des pouvoirs d’achat, est un chiffre mobile et qu’il se balance nécessairement avec le total de la production utilisée par le public consommateur. Ceux qui se rappellent les anciennes évaluations du revenu national que l’on arrêtait à des chiffres très bas (et moi-même, dans une étude déjà bien ancienne, je suis tombé dans cette erreur), ceux-là auront peine à comprendre que la production actuelle puisse s’équilibrer avec un revenu porté à plus de 37 milliards. Il n’est pas inutile de répéter qu’il s’agit dans ce calcul de la valeur des produits échangeables arrivés au dernier terme de leur consommation. Par exemple, au lieu de chiffrer l’hectolitre de blé en consultant la mercuriale, comme on l’a fait ordinairement, il faut considérer que ce même blé, réduit en farine, transformé en pain, en pâtisserie, vendu en détail, fournit un revenu bien supérieur au coût du marché primitif. Un courtier achète chez le propriétaire, dans un département lointain, cent belles poires qu’il paie 10 francs; à la halle de Paris, il les revend le double, et le fruitier les débite à raison de 0 fr. 50 pour la table des gens riches; voilà un revenu de 50 francs qui se partage entre le propriétaire et tous les intermédiaires. Il faut 1/2 kilo de café, qui coûte 3 francs, et 1/2 kilo de sucre, qui coûte environ 0 fr. 60, avec un peu de charbon pour faire 32 demi-tasses, qui, avec les gratifications ordinaires, sont débitées à raison de 0 fr. 50, ce qui procure 16 francs de revenu. Avec la dépense d’une vingtaine de francs pour sa toile et ses couleurs, un artiste crée une valeur qui augmentera de 20,000 francs son pouvoir d’achat. Il en est de même pour les objets de luxe ou de pure fantaisie, qui ont atteint en ces derniers temps des prix insensés. C’est ainsi que l’industrie et le commerce grossissent dans une proportion incalculable le chiffre qui fera nombre dans le calcul définitif des revenus et qu’on arrive sans invraisemblance à ce total de 37 milliards.

On me pardonnera, je l’espère, les détails assez minutieux dans lesquels j’ai dû entrer ; c’était une sorte de préface indispensable pour aborder scientifiquement le problème économique que j’ai pris à tâche d’examiner : celui de l’enchérissement des denrées, des marchandises et des services.