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la somme entière arrivera sur le marché directement ou indirectement pour s’y échanger contre des objets de consommation. Il y aura augmentation de revenu, y aura-t-il dans le commerce un enchérissement correspondant à la plus-value idéale du titre négocié en bourse? La question est subtile : je vais essayer de l’éclaircir en présentant un exemple plus saisissant, celui d’une émission.

Une entreprise est lancée au capital nominal de 50 millions : le quart seulement est versé. Des circonstances avantageuses ou des manœuvres déshonnêtes élèvent en peu de temps l’action de 500 francs à 800 francs; voilà donc une majoration de 30 millions, somme qui se partage naturellement entre ceux aux mains desquels les titres ont passé. Et cette majoration n’est pas une valeur fictive, elle constitue une monnaie réelle, agissante, plus réelle, plus puissante que le papier-monnaie ou que la monnaie fiduciaire qui circule concurremment avec le métal, car la puissance du papier-monnaie est réglée commercialement d’après l’étendue de son émission et la monnaie fiduciaire a un cours variable qui la distingue de la monnaie métallique. Au contraire, la plus-value de l’action se monétise immédiatement, sur le comptoir de l’agent de change, en espèces sonnantes et courantes, en billets ou en mandats, que la Banque remboursera en or et argent. Celui ou ceux qui ont profité de cette plus-value ont donc un accroissement réel de revenu, ils peuvent se présenter sur les marchés avec un pouvoir d’achat agrandi. Or, si l’affaire dont il s’agit est normale et féconde, si elle a déterminé un travail utile et une augmentation de produits consommables, l’équilibre des prix n’est pas dérangé, la multiplication d’une denrée ou d’une marchandise utile contribue au bien-être du public; mais, au contraire, si l’affaire est creuse et stérile, si les revenus qu’elle crée fictivement n’apportent aucun contingent à la somme des produits échangeables, l’équilibre antérieur est dérangé et les prix s’élèvent dans la mesure où les revenus de création nouvelle développent les pouvoirs d’achat.

Vers le milieu de l’année 1874, un changement notable se produisit sur ce terrain brûlant dont la Bourse est le centre. Le ralentissement du travail pendant les années désastreuses avait épuisé les approvisionnemens en tout genre. Il y avait des besoins pressans, non-seulement en France, mais à l’étranger : de là une reprise très vive dans les manufactures et dans l’exportation avec de notables bénéfices. Les ruines de la guerre si lestement réparées, la souscription des 43 milliards pour la libération du territoire, avaient causé en Europe une sorte d’éblouissement. En même temps, le développement des travaux publics, qui devait aboutir un peu plus tard à un plan grandiose, mit en mouvement des activités et des appétits de toute rature. On se persuada qu’il y avait en