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France un fonds de richesse inépuisable et on se mit en mesure de l’exploiter. Dès lors, la Bourse de Paris devient un centre d’attraction qui rayonne sur le monde entier. Autour de ce foyer toujours incandescent, se constitue, s’organise ce qu’on appelle « la spéculation, » monde à part, accouru de partout et se rattachant à tous les autres pays par ses affiliations, ses arbitrages, étudiant au jour le jour les incidens, les besoins, les pulsations fiévreuses de la vie politique.

Sous ces influences, il se produisit un changement qui n’a pas été assez remarqué. Autrefois, le banquier spéculateur était un marchand de rentes : il achetait des titres pour les placer dans sa clientèle, et le quantum du revenu qu’il pouvait offrir au public était l’objectif et le régulateur de ses opérations. Ce que les anciens de la Bourse appellent la « nouvelle école » a changé tout cela. Aujourd’hui, l’idéal de la spéculation est le bénéfice qu’on peut faire jaillir du jour au lendemain de la majoration du capital. On a imaginé les combinaisons les plus subtiles, les engins les plus puissans pour le gonflement artificiel des capitaux. Le succès justifiant l’audace, il est entré dans les esprits que, grâce aux ressources merveilleuses de la France, la hausse est la loi générale et permanente du marché.

Le terrain était d’ailleurs préparé pour ce mouvement. Il y a quelque vingt ans, les grandes compagnies financières, créées peur contre-balancer la souveraineté trop absolue de la haute banque, organisèrent le drainage des petits capitaux. Il s’agissait, disait-on, de recueillir les économies modestes disséminées et stagnantes dans les familles, dans les petits comptoirs, en les attirant, par l’appât des placemens lucratifs, dans le domaine des grandes affaires. L’idée était bonne assurément, mais les affaires saines et suffisamment productives sont rares ; les hommes capables de les concevoir et de les organiser sont plus rares encore. La fatalité pour ces sociétés était l’obligation de fournir, à dates précises, de bons dividendes à leurs actionnaires. A défaut d’un courant suivi d’affaires productives, elles classaient leurs fonds disponibles dans la rente, avec prudence d’abord, et plus tard dans des émissions plus ou moins chanceuses qu’il fallait lancer et soutenir par la puissance des grands syndicats.

La prospérité éclatante de ces premiers établissemens, la grande situation qu’ils occupaient dans le monde des affaires, aiguisait les convoitises dans les coulisses de la finance, et les obstacles étant abaissés par la loi de 1867, on vit surgir des sociétés de spéculation en tous genres. Ce premier essor fut comprimé par la guerre de 1870 et les tristes événemens qui la suivirent. Mais, à partir de 1874 (j’ai déjà signalé cette date) commence la grande campagne