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39 compagnies financières ou industrielles, choisies parmi celles qui ont tenu la plus grande place dans la spéculation, telles que : le Comptoir d’escompte, le Crédit lyonnais, l’Union générale, le Gaz, les Eaux, le Suez, etc., 2,512,603,000 francs. Mes calculs appliqués à ces cinq catégories de placemens, comprenant, il est vrai, quelques sociétés qui n’existaient pas en 1874, donnent déjà une plus-value de 12,605,970,000 francs; mais cette première évaluation laisse en dehors les fonds départementaux, les fonds étrangers qui jouent un rôle important sur le marché français, les mines, les assurances, dont l’essor est considérable, nombre de petits chemins de fer dont l’existence est à peine remarquée, les omnibus, les tramways, la navigation fluviale et maritime, les grandes usines industrielles, et d’innombrables entreprises dont les actions ne sont pas cotées à la Bourse et se négocient en banque. Ces valeurs de second ou troisième ordre ont, comme les valeurs maîtresses, profité du mouvement ascensionnel commandé par la spéculation à outrance; elles se sont capitalisées à des prix plus ou moins surfaits. On ne s’exposerait donc pas au reproche d’exagération en disant que la hausse soutenue artificiellement sur le marché français du second semestre de 1874 à 1881 a déterminé un accroissement de richesse plus apparent que réel, et que la plus-value nominale des capitaux mobiliers acquise pendant cette période d’environ sept ans peut être chiffrée par quinze milliards de francs.

Quand on a atteint ces hauteurs, le vertige commence. Les cours excessifs cotés à la Bourse, comparés avec les dividendes espérés, ne font plus ressortir que des intérêts insuffisans. On prévoit d’ailleurs que les sociétés à court de ressources vont essayer de fortifier leur capital par l’appel des versemens complémentaires : les cliens qui avaient rêvé des bénéfices se trouvent menacés d’un débours considérable. Un frisson de panique se répand de proche en proche : on s’agite pour réaliser. Les acheteurs sérieux, ceux qui paient et gardent le titre, se retirent peu à peu ; le placement définitif, qui est la base solide de l’échafaudage, se rétrécit de jour en jour. Quant aux spéculateurs de profession, ils opposent à la chute une résistance désespérée; ils gonflent leurs opérations, ils précipitent l’échange des titres, achetant entre eux du papier avec du papier. Le prix des reports s’élève à mesure que l’édifice vacille et menace de crouler. Un jour vient où le report se retire tout à fait, et alors (pour employer ce vilain mot allemand qui est entré brutalement dans la langue française et qui malheureusement y restera), alors arrive le krach !

On vient de dire que les principales valeurs (rentes, chemins de fer, banque et 39 grandes compagnies de finance) avaient gagné en Bourse de 1874 à 1881, une plus-value de 12,605,770,000 fr.