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ne trouve guère à citer dans le Journal de Fricasse que ce fait curieux. Le 24 janvier 1793, l’aumônier du bataillon bénit solennellement dans l’église de Saint-Dizier le drapeau qui, par parenthèse, avait pour emblème une épée surmontée d’un bonnet de liberté et pour devise : Huit cens têtes dans un bonnet. — Un aumônier attaché à un bataillon et un drapeau, décoré du bonnet phrygien, bénit à l’église, ce sont là choses assez rares dans l’histoire militaire de la révolution.

De l’armée du Nord, Fricasse, promu sergent, passa à celle de Sambre-et-Meuse, puis à celle de Rhin-et-Moselle, enfin à celle d’Italie sous Schérer et sous Masséna. Il fut libéré le 5 vendémiaire an VII, après sept années de service. Il avait assisté, pour ne citer que les faits militaires les plus marquans, à la bataille de Fleurus, à la prise de Maëstricht, à l’admirable retraite de Biberach et au siège de Gênes. Son Journal de marche est donc bien rempli. Malheureusement le récit est succinct et froid, sans couleur et sans mouvement. On n’y trouve que peu de détails curieux ou ignorés, aucun trait pittoresque. L’éditeur du Journal de Fricasse, M. Lorédan Larchey, avoue que le sergent « ne sait ni voir ni conter. » Ces pages ont cependant leur très vif intérêt. C’est une bonne fortune inespérée que de trouver peint au naturel et par lui-même un volontaire de 92 conforme au type légendaire.

Fricasse est le modèle accompli du « citoyen-soldat. » Rien de moins, rien de plus. Il s’engage parce que la république est menacée, il reste au service parce que « ce ne sera pas en se sauvant comme des brebis égarées qu’on soumettra à la paix des hommes orgueilleux; » mais lorsque les grands périls sont passés, il retrouve son foyer avec bonheur et serait bien désolé de faire un nouveau congé. Chaque fois qu’il astique la bretelle de son fusil, il s’imagine qu’il sauve la patrie et s’en montre très fier. Il est brave et discipliné, il supporte stoïquement les fatigues de la retraite de Biberach, les privations du siège de Gênes. Il a toutes les qualités d’un bon soldat ; il n’est pas un vrai soldat. Chez lui tout est devoir, rien n’est plaisir. Ce Cincinnatus en chapeau à cornes, cet homme renouvelé de l’antique, ou plutôt moulé sur l’antique, aime la cause qu’il défend et non le métier qu’il fait. De l’ex-jardinier Fricasse et de l’ex-séminariste C..., le séminariste est bien plus soldat. Il est simple, gai, bon enfant, il aime à rire ; la guerre le séduit, le métier lui plaît, il a l’esprit de corps. C’est son tempérament de soldat qui lui donne la constante bonne humeur dont il brave toutes les épreuves. C’est au contraire dans sa foi républicaine seule que Fricasse puise son courage. Fricasse est froid, grave, aisément solennel. Il a de l’enthousiasme et pas d’entrain. La guerre est pour lui une nécessité fatale qu’il réprouve et qui l’afflige. Il s’apitoie sur ses