Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier service à l’histoire générale de placer en une lumière toute nouvelle une si importante période, trop laissée dans l’ombre. Son premier volume des Itinéraires latins, composé par les soins du docteur Titus Tobler et de M. Aug. Molinier, s’ouvre par le célèbre pèlerinage anonyme de Bordeaux à Jérusalem accompli dès l’année 333, par la lettre de sainte Paule et d’Eustochium à Marcella sur les lieux saints, et par le voyage héroïque de sainte Paule que raconte saint Jérôme. Viennent ensuite plusieurs morceaux du VIe et du VIIe siècle, puis, pour l’époque carlovingienne, d’aussi curieuses pièces que ce rapport adressé, vers 808, à Charlemagne de Casis Dei, ayant pour objet d’énumérer les églises, les couvens et les hospices que possédait déjà la Palestine. M. de Rossi l’avait publié le premier dans son Bulletin d’archéologie chrétienne, d’après le fragment de parchemin recueilli par le zélé bibliothécaire de Bâle. Ce précieux morceau reparaît ici après une nouvelle étude qui en aura avancé le déchiffrement sans toutefois lui rendre un nom précis d’auteur[1]

Quant aux travaux personnels de M. Riant sur cette première période, nul ne contestera qu’il n’y ait ajouté, au profit de l’enseignement général, une page singulièrement caractéristique et nouvelle par son livre intitulé : Expéditions et pèlerinages des Scandinaves en terre-sainte au temps des croisades. Malgré les derniers mots de ce titre, l’auteur peut aisément remonter dans cette histoire jusqu’à un siècle au moins avant le commencement des croisades proprement dites, c’est-à-dire jusqu’à l’époque de la conversion de ces peuples au christianisme, et de l’incroyable essor, en même temps religieux et barbare, qui leur faisait fuir leurs agitations intérieures pour se disperser sur toutes les côtes de la Baltique et de la Méditerranée. Par leur exemple, nous pouvons juger de ce qu’avaient été les peuples de l’invasion germanique: les uns et les autres, appartenant à la même race, ont montré les mêmes penchans; la même intempérante ardeur les a entraînés pareillement, en des époques diverses, dans ces deux grands mouvemens de l’invasion et de la croisade, dont il semble que le second soit comme la suite et la rançon du premier. L’expansion des Scandinaves dans la Baltique et les contrées riveraines n’a pas été moins énergique que celle des Northmans, leurs frères aînés, dans la Méditerranée. Ils se sont établis en Russie; de là ils ont lié des rapports avec les empereurs grecs, qui les ont accueillis et qui ont recruté dans leurs rangs la garde varangienne. Une fois convertis, Constantinople leur est devenue comme une ville sainte, d’où ils se sont bientôt acheminés vers

  1. M. de Rossi annonce en ce moment même la découverte d’un texte analogue de premier ordre et remontant au IVe siècle.