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Jérusalem. Les pèlerinages ou expéditions de leurs premiers rois chrétiens, des deux Olaf et d’Harald le Sévère, ont préparé à leur manière les vraies croisades; et si la participation définitive de ces peuples au mouvement général n’a pas été consacrée par des résultats spéciaux, ils ont contribué du moins, en s’y mêlant avec une vive ardeur, au caractère d’universalité puissante qui a marqué ces vastes entreprises. Ils interviennent particulièrement dans les trois premières et dans la cinquième.

Que la légende, en présence ou à la suite d’agitations si profondes, ait pu se mêler longtemps à l’histoire, nul ne s’en étonne. Les imaginations populaires ont bien pu inventer, même inconsciemment, des ancêtres aux plus anciens héros des croisades; d’autres agens de fictions plus ou moins volontaires n’ont pas manqué. Bien que la critique ait, sur plus d’un point, commencé à y mettre ordre, son œuvre sera notablement avancée par les travaux de la Société de l’Orient latin. Sur la prétendue expédition de Charlemagne, pèlerin et conquérant en terre-sainte, par exemple, M. Riant a consigné dans plusieurs mémoires des observations qui ont du prix, même après le savant travail de M. Gaston Paris sur la légende poétique au grand empereur.

Qu’on se représente à quelle grandeur s’est élevée cette famille carlovingienne. Les princes de la maison d’Héristal arrêtent tout d’abord l’invasion musulmane et sauvent d’un incalculable désastre, peut-être d’une ruine assurée, la civilisation de l’Occident. Ils franchissent les Alpes, ils vont au secours des pontifes romains, et combattent pour eux, soit contre les Lombards, soit contre les empereurs grecs. Charlemagne hérite de cette politique en même temps prudente et hardie, et il en augmente la gloire. Lui aussi il combat les Maures ; mais de plus il arrête la grande invasion germanique, encore impatiente ; il en atteint l’arrière-garde, il la force de renoncer à de nouvelles attaques, de se fixer, et de s’ouvrir aux influences du christianisme. Il affermait de la sorte les assises de la société nouvelle. En même temps, il reprend la tradition de l’ancienne société; son alliance continuée avec les papes l’associe au pouvoir moral et religieux le plus élevé de son temps. C’est un grand spectacle de suivre son action qui s’étend sur l’Orient, non pas seulement par ses relations avec l’empire grec, mais par son autorité reconnue et ses institutions protectrices dans la terre-sainte. La même année 800 l’a vu, — grandeur incomparable et dont nos gloires modernes peuvent être jalouses, — couronné empereur à Rome, et, de l’aveu du calife Haroun-al-Raschid, revêtu officiellement du patronage de la Palestine. Et cette reconnaissance n’a pas été un vain titre. Charlemagne s’est fait rendre le compte exact (nous en avons conservé, disions-nous, une preuve officielle) de ce que la terre-sainte possédait avant