Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivait-on d’Italie à Catherine, vous contenter d’un petit train de filles et veiller à ce qu’elles ne passent pas et ne repassent pas par les mains des hommes, et à ce qu’elles soient plus pudiquement vêtues. » Mais Catherine ne voulait pas, ne pouvait pas se passer de son escadron volant, cette milice galante si aguerrie; il lui agréait de voir briller dans une salle de bal toutes ces charmantes jeunes filles « comme les étoiles reluisent au ciel par un temps serein[1]. » En se servant de Mlle de Rouet, elle avait gouverné à son gré le faible roi de Navarre; pour dominer Condé, elle avait en réserve une auxiliaire non moins belle et d’une trempe encore plus forte, Isabelle de Limeuil, qu’elle avait amenée à l’entrevue de l’île aux Bœufs, et que les regards de Condé n’avaient pas quittée.

Isabelle était de la branche de la maison de La Tour d’Auvergne à laquelle appartenait Madeleine de La Tour, femme de Laurent de Médicis et propre mère de Catherine. C’était une de ces langues affilées et promptes à la riposte; malheur à qui l’attaquait! Accostée durant le siège de Rouen et serrée de trop près par le connétable de Montmorency, « qui n’étoit pas l’ennemi du beau sexe et avoit de bonnes pratiques, » elle le rabroua si fort que, peu habitué à pareille rebuffade : « Ma maîtresse, dit-il en s’éloignant, je m’en vais; vous me rabrouez fort. — C’est bien raison, répliqua-t-elle, puisque vous êtes coutumier de rabrouer tout le monde. » Blonde aux yeux bleus, et remarquable par l’éclat de son teint, Isabelle était surtout une audacieuse, pour ne pas me servir d’un autre mot, une de celles qui savent au besoin faire espérer leurs faveurs et à l’avance en escompter le prix, sauf à ne pas payer à l’échéance. Ayant eu à réclamer l’assistance du duc d’Aumale, un de ses nombreux adorateurs : « Monseigneur, lui écrivit-elle, si vous n’avez connu combien je désirois faire chose qui vous fût agréable, ce n’a été que pour n’en avoir eu le moyen, mais bien la volonté. » Elle avait compté tour à tour ou ensemble au nombre de ses poursuivans Claude de La Châtre, le futur maréchal de France, Gersay, qui en 1562 trouva une mort si précoce au siège de Rouen, Ronsard, qui a écrit pour elle cette gracieuse chanson :


Quand le soleil tout riant
D’Orient,
Nous monstre sa blonde tresse,
Il me semble que je voy
Devant moy
Lever ma belle maîtresse.

  1. Brantôme, Œuvres. Édition L. Lalanne.