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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/648

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Remontrances impuissantes ! Limeuil l’emporta sur Calvin et de Bèze. Des avertissemens plus cruels ramenèrent, pour un instant, Condé au sentiment du devoir et le forcèrent à rentrer en lui-même. Au mois d’octobre 1563, il perdait deux de ses enfans : Madeleine et Henri de Bourbon, la fille, âgée de dix-huit mois, le fils, de trois ans. Rappelé par cette double perte dans sa maison désolée, il n’y resta que juste le temps commandé par les convenances.

Cette vie de désordre avait endurci son cœur. Déjà ce n’était plus Limeuil seule qui le ramenait si précipitamment à la cour. Marguerite de Lustrac, la veuve du maréchal de Saint-André, tué à Dreux, s’était amourachée de lui. Elle n’avait eu du maréchal qu’une fille, l’une des plus riches héritières de France. Cette fille avait été destinée au jeune duc de Guise et confiée à la garde de la duchesse. Désireuse de captiver Condé, et voulant se l’attacher par un lieu intéressé, Marguerite de Lustrac retira sa fille des mains de la duchesse de Guise, et, reprenant la parole donnée, la promit à Condé pour son fils aîné, le prince de Conti. À cette date, la maréchale comptait à peine trente-deux ans. Le poète Du Bellay, qui l’a souvent chantée, nous vante sa beauté. Billon, un contemporain, dans le livre si singulier qu’il a consacré aux femmes célèbres du XVIe siècle[1], l’appelle « la marguerite de douceur. » Elle se donnait des airs de reine et ne marchait qu’accompagnée de la belle Beaurecueil et de la gracieuse Téligny. Veuve de l’un des triumvirs, elle s’était faite protestante.


II.

Avant d’entreprendre son long voyage de deux ans à travers la France, au bout duquel elle pressentait déjà l’entrevue de Bayonne, Catherine voulut renouveler à Fontainebleau les merveilles des grandes fêtes dont François Ier lui avait légué l’élégante tradition. Dans les vastes galeries où le Primatice a immortalisé la beauté de sa rivale Diane de Poitiers, elle convia l’élite de la noblesse de France, invitant sans distinction protestans et catholiques. La princesse de Condé, Éléonore de Roye, vint y rejoindre son époux et s’y rencontra avec Renée de Ferrare, dont elle était tendrement aimée, et avec l’amiral Coligny, qui la tenait en la plus haute estime. Castelnau, dans ses Mémoires, Abel Joiuan, dans son curieux Journal, nous ont longuement décrit les fêtes dont Fontainebleau fut à ce moment le théâtre. Habile à faire parader un cheval, adroit au jeu de paume, à la course à la bague, maniant des mieux les armes, Condé en fut le héros ; c’était le préféré de ces belles filles d’honneur qui le

  1. Le Fort inexpugnable de l’honneur féminin.