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V.

Cependant le cabinet de Berlin conservait peu d’espoir de décider l’Autriche, par la voie des négociations, à céder la Galicie. En mai, les troupes prussiennes se mirent en mouvement. Le duc de Brunswick et le roi lui-même en devaient prendre le commandement. La guerre semblait résolue, et il n’y avait plus dès lors qu’à ratifier le traité de Constantinople : seul, Hertzberg s’obstinait à espérer la réalisation pacifique de ses desseins et à conseiller à l’Autriche de prendre à la Turquie pour rendre à la Pologne. Que si les Turcs, mécontens, comme il était assez facile de s’y attendre, invoquaient le traité tout fraîchement ratifié, rien ne serait plus aisé que de leur fermer la bouche. Car si on leur enlevait deux ou trois provinces, à la vérité non des moins riches ni des moins peuplées, c’était dans leur propre intérêt et pour rester dans l’esprit même de ce traité, dont on violait la lettre. On arriverait à les convaincre, Hertzberg se flattait de cet espoir qu’en sacrifiant partie de leur territoire, ils sauvaient le reste pour l’éternité, grâce à la générosité de leur bon ami et allié le roi de Prusse. Enfin, le 2 juin, de nouvelles propositions furent envoyées à Vienne, accompagnées d’une lettre de Frédéric-Guillaume. Le roi de Prusse, diminuant ses prétentions, ne demandait plus que la cession d’une partie de la Galicie.

On a des raisons de penser que Léopold eût fini par accepter ces propositions ; mais dans l’esprit du prince de Kaunitz, les négociations engagées entre les deux cours n’avaient qu’un but : donner à l’Autriche le temps de s’armer et de décider la Russie à une action commune contre Frédéric-Guillaume. En effet, les pourparlers se menaient vivement entre Vienne et Pétersbourg. Dans une des instructions adressées à M. de Cobentzel, le prince de Kaunitz examine ce que valent les propositions prussiennes. « Les conséquences de la première proposition vont d’elles-mêmes, écrit le chancelier. Pour nous couvrir des frais de la guerre, de la perte irréparable de 200,000 hommes, en échange du banat ravagé, nous n’aurons rien... Mais si nous acceptions la seconde proposition, nous aurions moins que rien, car, non-seulement nous perdrions à échanger la Galicie contre les frontières du traité de Passarowitz, mais encore cette perte serait doublée par l’agrandissement de la Prusse. Dans cette situation et vu l’insistance du cabinet de Berlin, le plus sage serait d’amuser ce dernier par des négociations durant quelques mois et d’employer ce délai à conclure avec la Porte une paix avantageuse. » Il est clair que c’était, en effet, « le plus sage, » mais à une condition toutefois, qui était que la Russie entrât franchement dans les vues de l’Autriche et se disposât à la seconder.